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Extraits LA VOIE DE L'ULTIME ESPOIR TI Etrange Découverte

LA VOIE DE L'ULTIME ESPOIR

Etrange Découverte

Tome 1

Chris Savignan

Copyright France



TABLE DES MATIERES

Tome I

Étrange Découverte.

I. Un voile de suspicions…..................................................................extrait du I au IX

II. Dans l’antre de la démesure.........................................................

III. Le rivage de l’enfance…...............................................................

IV. Les coulisses du cauchemar..........................................................

V. L’espion de la République..............................................................

VI. Ténacité juvénile….......................................................................

VII. Poussée à bloc………..................................................................

VIII. Consternations déroutantes........................................................

IX. Étrange découverte…....................................................................extrait fin

X. Tout problème a une solution..........................................................

XI. Comme autrefois...........................................................................

XII. Alternative……….......................................................................

XIII. Justin ou la malice……..............................................................

XIV. À bonne école…….....................................................................

XV. Secret partagé…….......................................................................

XVI. Socrate et la poésie…….............................................................

XVII. L’école de la vie et animalerie..................................................

XVIII. L’école de la vie et sortilège...................................................

XIX. Maouez-Noz* en furie…............................................................

XX. Dans les bras de Vénus…............................................................

XXI. Les transes…………..................................................................

XXII. Face à face……….…...............................................................

XXIII. Sursis accablant…...................................................................

XXIV. Roméo et Juliette…….............................................................

XXV. Mutisme…………....................................................................

XXVI. Coupable ou acquittée.............................................................

XXVII. Quand ambitions riment avec cruauté………………………

XXVIII. Intimité bouleversante..........................................................

XXIX. Manou la mystérieuse..............................................................

XXX. Révélations de l’océan...............................................................

XXXI. Exode propice...........................................................................

XXXII. Le professeur DUCHEMAN...................................................

XXXIII. L’ultime espoir.......................................................................

FIN

Table des matières..............................................................................

Anecdote.............................................................................................

En avant-propos.................................................................................

Avant-propos......................................................................................

Glossaire.............................................................................................

Langues et expressions......................................................................

Brève autobiographie........................................................................

Lettre aux lecteurs.............................................................................

Table des matières.............................................................................

Citation...............................................................................................

Chap. I

Un Voile De Suspicions.

Sous une chaleur accablante d’un samedi du mois d’août 2238, affichant 42° Celsius à l’ombre, je rentrai d’un après-midi de lèche-vitrine, pour dénicher des vêtements à petit prix, pour mon fils. C’était une période d’une douceur hivernale sur les côtes de l’île et très froide à l’intérieur des terres, avant l’irrémédiable bouleversement climatique de la fin du XXIe siècle. Mais à présent, elle s’apparentait à un fourneau. La sueur perlait sur nos fronts, mais nous étions satisfaits de nos emplettes. Mon petit bonhomme prenait deux centimètres tous les quinze jours, à compter du début de cette année. « C’est tout de même incroyable la rapidité à laquelle il a pu grandir ! Pensai-je, dans le couloir de notre résidence. » Bien que son développement biologique et psychique ait été extraordinaire, durant une courte phase de sa tendre enfance, celle-là me dérouta par son imprévisibilité. « Mais quelle taille aurait-il à 18 ans ? Songeai-je, d’un air sidéré... Il ne va quand même pas dépasser le record du monde, du plus grand homme de tous les siècles ! ... Non !!! Sa croissance ralentira, comme la mienne à son âge, du moins, j’espère qu’elle se stabilisera, d’ici le 1er septembre, sinon mon portefeuille subira la plus grosse crise économique qu’il n’ait connue, depuis que je le possède, souhaitai-je, en jetant un œil sur ma montre, tout en passant le seuil de mon entrée. »

17 heures, la porte de l’appartement se referma sur notre passage, par un système automatique mécanique. Dès mes premiers pas, ma chaussure droite heurta une enveloppe qui avait été introduite par la scissure de la porte. Celle-ci glissa sur le carrelage, jusqu’à Sami qui la ramassa et me la remit. Encombrée par mes sacs de courses, j’en déposai un, pris le pli cacheté et le posa sur la table de la salle à manger, sans en contrôler sa provenance, ni son contenu. Ce courrier avait soulevé la curiosité de mon chérubin qui attendait impatiemment, à mes côtés, pour découvrir ce qui s’y cachait.

  • « Tu ne l’ouvres pas ! S’étonna-t-il, le front plissé de contrariété, à l’instant même où je m’apprêtai à me livrer, à mes occupations quotidiennes.

  • Plus tard, mon cœur, nous avons des tâches prioritaires à accomplir, avant la nuit, justifiai-je, d’un ton bienveillant. Tiens, allège mon fardeau, en portant quelques sacs et suis-moi.

  • Ok, lequel je prends ? Demanda-t-il, d’un air déçu.

  • Celui qui est au sol et celui-ci, le lui tendis-je, le visage rayonnant d’enthousiasme. »

Sami accrocha fermement aux poignées des sachets durables de courses et me suivit d’un pas décidé. D’emblée, nous montâmes à l’étage de mon duplex, avec nos achats, pour me consacrer à une séance de 20 minutes de pressing. Pendant que je rangeai ses affaires dans son placard, en chantonnant un air de mon registre musical, mon bambin se déshabilla pour prendre une douche, sous mon regard attentionné.

  • « Ne reste pas devant la fenêtre chaque fois que tu enlèves ton enveloppe charnelle mon p’tit loup, tu encoures un risque peut-être mortel et moi des préjudices émotionnels, préconisai-je, avec douceur, mais les pupilles dilatées de crainte. Et au passage, tu serais gentil de m’allumer le transistor, avant de te doucher, s’il te plaît.

  • Oui, mam (maman), j’y vais, consentit-il, d’une voix enjouée. Mais tout d’abord, prends-moi dans tes bras, pour que je puisse t’embrasser.

  • Viens vite, mon ange, conviai-je, en les lui ouvrant chaleureusement, que me vaut ce tendre câlin ?

  • Merci, ma p’tite maman, pour cet extraordinaire après-midi avec toi, je ne l’oublierai jamais, gratifia-t-il, d’un ton ému.

  • Oh que c’est gentil, mon cœur ! Succombai-je, les yeux embués de bonheur. Nous en programmerons d’autres, c’est promis ! Rien qu’à voir et à ressentir ta joie profonde, tu peux en être rassuré, je n’y manquerais pas. »

Ce gamin était un prodige. Sachant les difficultés que rencontraient certains parents par rapport aux leurs, malgré leur honorable et vertueux investissement, je réalisais honnêtement la chance que j’avais de pouvoir aborder sereinement son éducation. À peu de jours de sa sixième année anticipée, il était déjà le petit homme de la maison, intelligent, mature et responsable, sur ses 144 centimètres de statures. Son calme et sa patience me permettaient de supporter ma situation professionnelle instable et notre vie précaire. Un semestre durant lequel j’étais en quête d’un emploi, dans un domaine compatible à mon existence et répondant à nos exigences financières se défila. Il faut dire que les conjonctures économiques de l’île défavorisaient l’embauche et la création d’emplois. Le métier de serveuse que j’exerçais à mi-temps s’avérait d’une contrainte à nuire à mon équilibre physique et psychique. Malheureusement, mes nombreuses recherches n’aboutissaient sur aucune proposition plus prometteuse et valorisante. Mon relevé de compte bancaire affichant toujours un solde mensuel débiteur provoquait, parfois, mes crises de larmes et d’angoisses. En vue de lutter contre un avenir incertain, en ces temps extrêmement rudes et destructeurs, pour les trois quarts de la population mondiale, nous survivions au moyen des économies que j’avais pu faire, lorsque je vivais encore chez ma mère, et de l’héritage que mon père nous avait légué à sa mort. Grâce à notre ouverture d’esprit sur le monde, nous subsistions au seuil critique d’une pauvreté de ressources financières, certes, mais en contrepartie nous étions au sommet d’une richesse affective et culturelle, à travers ma relation d’amour maternel avec mon fils, d’émotion familiale avec Manou et de cœur avec mon petit ami Loïc. Mes activités artistiques, mes lectures et mes études que je venais d’abandonner par obligation s’étaient avérées, aussi, une source de bonheur et d’équilibre. Le temps à m’y consacrer fut bienfaiteur et ce qui m’en restait fut salvateur.

D’une obéissance exemplaire, Sami marcha jusqu’au chevet de sa chambre où se trouvait la prise d’électricité, y raccorda celle du transistor, et le mit en service, avant de se rendre à la salle de bains. Une plage de chansons nostalgiques était diffusée à travers les ondes. Soudain, la musique s’interrompit. Je jetai un bref coup d’œil sur ma montre, pendant qu’un générique d’émission démarra. 17 h 30, c’était l’heure des dépêches régionales. Nous étions branchés sur la station d’une radio locale. Le journaliste d’un genre plutôt dramatique annonça, d’une intonation tragique et précipitée, une page spéciale liée à de récents incidents.

  • « Mes chers auditeurs et auditrices, bonjour ! Des évènements d’une gravité exceptionnelle nous ont incités à démarrer les informations de cette fin d’après-midi, par une page spéciale. Un grand magasin de vêtements pour enfants, l’établissement ROBADY, a été entièrement ravagé par les flammes, il y a de ça, un peu plus d’une heure trente. Dans un intervalle de quarante-cinq minutes, un autre grand commerce de chaussures pour enfants et adolescents, CHAUSS ISLAND, situé dans un quartier opposé au premier, s’est retrouvé sous l’emprise d’un énorme brasier. L’intervention rapide des pompiers a permis de sauvegarder, uniquement, les films des caméras et microphones de surveillance de ces grandes surfaces et quelques archives de bureaux. C’est du jamais vu la vélocité avec laquelle les flammes ont dominé sur le combat et l’acharnement de nos soldats de feu. Ce sinistre, au-delà de sa réalité incontestée, qu’il est en partie justifié, par les facteurs climatiques actuels, figure dans le palmarès du hors-norme. Historiquement, à aucun moment de tels incendies ne se sont produits dans notre département et il ne fait pas plus chaud qu’il y a six ans. Je vous rappelle, brièvement, que depuis l’élaboration du projet : “Sauvegarde De La Planète”, mis en place par les plus grands chercheurs, techniciens et ingénieurs scientifiques, et climatologues mondiaux, la température de la Terre a diminué de 5° Celsius. Il s’agit du sixième brasier en moins de quinze jours. Madame Justine PHILIBERT, notre substitute du procureur à Saint-Denis de la Réunion, s’est gardée de prononcer tout commentaire, dès le moment où elle a ouvert une information judiciaire, pour obtenir plus de précisions, dès le premier incendie. Il semblerait, dans un premier temps, qu’elle ait confié cette affaire, à monsieur François MINATCHY, Juge d’instruction au pôle de la criminelle de notre ville également, qui avait tout de suite ordonné une enquête de flagrance. Entre-temps, vu l’ampleur et l’évolution de ces évènements, le Ministère de la Justice et celui de l’Intérieur ont pris ce dossier en charge. Le déclenchement du plan ORSEC zonal, par le Préfet de zone a été promulgué, récemment. Mais les choses ont encore évolué, le statut et les effectifs du COD, le Centre Opérationnel Départemental, ont été modifiés. La préfecture dispose à présent d’un COZ, un Centre Opérationnel Zonal, vraiment efficace. Les renforts qui étaient attendus en provenance de la métropole, de la brigade anticriminalité du quai des Orfèvres à Paris et de la police scientifique et technique de Toulouse sont localement actifs, depuis trois semaines. Le mois dernier, nous avons comptabilisé quatre délits criminels, d’une ampleur moins dramatique et conséquente. On ne peut pas en dire autant de ce qui se passe actuellement. Nous avons, en quelques jours à peine, dépassé largement ce record. Va-t-il continuer à cette allure ? Je n’ai malheureusement pas d’autres nouvelles, à vous communiquer, pour l’instant, néanmoins, restez avec nous pour suivre les rebondissements de cette affaire qui peuvent survenir, à tout moment de cette fin d’après-midi. »

Aussitôt, le générique musical de la page spéciale clôtura son commentaire.

  • « Tu entends ces informations Sami, encore des magasins qui brûlent, c’est totalement flippant cette affaire, informai-je, d’un ton retentissant.

  • Vaguement, il aurait fallu que la porte de la salle de bains soit ouverte et le son de la radio un peu plus fort, pour couvrir celui des clapotis de l’eau, avisa celui-ci, d’une voix tonitruante.

  • Est-ce un hasard ? Ce sont les deux derniers où nous avons fait nos achats tout à l’heure ! J’en doute sérieusement, pressentis-je, bizarrement.

  • C’est effectivement étrange, mais tu sais, pour tout t’avouer, je l’ignore, répondit-il, après avoir entrebâillé la porte.

  • Enfin ! Ce qui est sûr, c’est cette chance que nous ayons quitté les lieux avant ces incendies ! Considérai-je, d’une inflexion rassurée.

  • Tu vois, j’avais raison à propos de cette odeur de fumée suspecte, observa mon fils. J’espère qu’il n’y a pas de blessés.

  • Saint-Denis est en feu, c’est incroyable, interféra soudainement le chroniqueur, avant la fin de la mélodie, attirant ainsi à nouveau mon attention. C’est sûrement l’œuvre d’un pyromane récidiviste, rajouta-t-il, d’un ton bouleversé. Ou d’un mouvement indépendantiste ou pire encore, comme… des actions qui seraient revendiquées par les mouvements des extrémistes orientaux bien connus de la DCIR, la SDAT, la DSGE, la DGSI, la DRM qui, vous le savez, sont nos instances judiciaires régionales, territoriales, étrangères et militaires en Métropole ! Énuméra-t-il, dans son affolement. Toutefois, ne dramatisons pas la situation, malgré les rumeurs, et attendons la fin de l’enquête. Merci, d’avoir été avec nous, et surtout ne vous éloignez pas car, je vous retrouve dans quelques minutes, pour vous communiquer les chiffres du Groupe International et Universel d’Experts, sur l’évolution du Climat,* le GIUEC.* Ceux-ci nous proviennent directement des techniciens scientifiques et climatologiques de la SDLP,* depuis leur immense station orbitale nord de notre atmosphère. Nos splendides satellites universels et planétaires, où se situent nos grandes villes de l’espace, seront le sujet d’un grand reportage ce soir, sur notre chaîne télévisée. »

Et il passa une plage de musique, le temps de se recadrer dans le contexte de son professionnalisme.

  • « Tu m’as entendu, mam ? S’inquiéta Sami.

  • Oui, mon ange, par contre, je ne pourrais pas te répondre, le journaliste n’a mentionné aucun détail en matière de blessés ou de morts, indiquai-je, tardivement, d’une inflexion attentionnée. Nous en serons peut-être plus aux 20 heures. Mais rassure-toi, je reconnais que tu as un excellent odorat. »

Le rangement terminé, je me rendis à la cuisine, pour sortir du congélateur deux steaks de bœuf que j’avais acheté, chez un de mes bouchers bio, l’un français, dont les produits provenaient de nos derniers petits éleveurs de campagnes et l’autre un indo-musulman très serviable qui garantissait la qualité de la viande hallal, provenant de leur abattoir familial qui respectait lʼéthique animale, à travers la nomenclature de notre biodiversité et notre écosystème, basés sur la chaîne alimentaire naturelle. Cette denrée alimentaire se faisait rare et coûteuse en ces temps de misère et de famine mondiale, nous ne la mangions qu’à l’occasion d’un jour de fête et grâce aux remises que nous accordaient les fournisseurs de mon patron. Et cette journée était un évènement mémorable, dans la vie de mon petit Sami. Tel un grand master-chef, je nous concoctai un savoureux plat gastronomique, présenté avec un design de maître. Je m’apprêtais à dresser une ravissante table, au moment où la sonnerie de la porte retentit. « Tiens ! Qui peut bien me rendre visite à cette heure nocturne de cette journée bien chargée ! Pensai-je, en jetant un œil sur mon horloge. »

19 heures, j’enlevai mon tablier et l’accrochai sur la poignée de la porte de mon sous-évier. D’un pas précipité, dans mes chaussons de paille roses, je me dirigeai vers l’entrée, les sourcils froncés d’étonnement.

  • « Qui est-ce ? Recherchai-je, le nez contre la porte et les prunelles, dans l’axe du judas.

  • Officiers SALOMON et DU VERN de la police judiciaire, déclinèrent les deux hommes en civil. Ouvrez ! »

Nous vivions à une époque où la méfiance régnait à l’apogée de son existence. Assumant mes responsabilités de mère célibataire, dans un modeste logement de soixante mètres carrés, j’hésitai longuement à ouvrir la porte, en observant soigneusement ces deux individus. Une sueur d’angoisse et de chaleur perlait sur mon front. L’un des deux, d’une corpulence disgracieuse, était très existé et hargneux, sur le palier. L’autre, d’une maigreur morbide, adoptait une attitude calme et observait le moindre mouvement autour de lui. Brutalement, le plus enveloppé se mit à presser la sonnette, à s’acharner sur la porte à coup de poing et à hurler avec autorité :

  • « Ouvrez ! Ouvrez cette porte, Mademoiselle, ou nous serions obligés de l’enfoncer sans retenue, nous sommes dans nos droits ! »

Debout dans le vestibule, le carillonnement me transperçait les tympans ; mais le verrou resta fermé. Des flots d’effroi continuaient à ruisseler sur mon front. Pourtant, leur visage me semblait familier. Cette familiarité prenait des allures cauchemardesques, dans mes pensées, car je ne parvenais pas à déterminer la conjoncture dans laquelle j’avais pu les apercevoir ou les rencontrer. « Qu’est-ce que je fais ? Qu’est-ce que je dois faire ? Songeai-je, les yeux ouverts de panique. » Au bout de cinq minutes, je cédai à leur sommation, en ayant toutefois, mis au point une technique d’autoprotection. Je poussai la poignée, tirai la porte et fis face à ces probables imposteurs de certaines nuits sanglantes. Une colère furibonde marquait leur figure.

  • «Que faisiez-vous tout ce temps ! Tempêta férocement le plus gradé des deux, lequel présentait une obésité disgracieuse et un regard acrimonieux. Ne connaissez-vous pas vos obligations de répondre à un commandement judiciaire dans l’immédiat ? Savez-vous au moins lire sur un badge de fonctionnaire ? »

Ils m’exhibèrent leur carte de police que je saisis promptement d’une main et refermai violemment la porte de l’autre. Avant la réouverture de celle-ci, je contrôlai méticuleusement l’authenticité de leur emblème, ainsi que la véracité de leur identité et de leur grade. Elles me semblaient provenir d’une source légale. « Si je refuse de coopérer, ils m’imposeront immédiatement un contrôle des informations personnelles que contient ma puce,* songeai-je, d’emblée, dans la crainte. » Il me parut alors primordial de leur dire la vérité, au sujet de leur requête, dont j’ignorai encore le contenu et l’ampleur, afin qu’il ne découvrît pas l’existence illégale de Sami. Celui-ci ne figurait pas dans le fichier de ma puce,* car il n’était pas censé exister et donc n’avait aucune puce d’identité également. Le grand squelettique était l’officier SALOMON, un rouquin vêtu d’une tenue civile de mauvais goût, du genre costume kaki largement trop court des manches et des bas qui dénudaient ses poignets et ses chevilles, et qui accentuaient sa maigreur insignifiante. Par contre, il esquissait une physionomie de stars de la beauté, derrière sa moue repoussante. Sa stature atteignait pratiquement la hauteur de ma porte. À côté de son collègue, l’officier DU VERN, le contraste était gigantesque. Corpulent et trapu, celui-ci portait un costume gris trop ajusté au niveau du ventre. Du haut de sa chevelure noire dégarnie jusqu’au menton, sa figure très antipathique me rappelait celle d’un des personnages de mes cauchemars. Dès que je les confrontais de nouveau, il me fustigea, en gesticulant agressivement et en m’accablant de reproches.

  • « Vous avez de la chance, Mademoiselle, à une minute près, vous n’auriez plus que des débris de porte, dans votre entrée. Malgré son blindage, je ne l’aurais pas pariée cher, à votre place, sur mon incapacité à la faire voler en éclats. De plus, envers la loi, vous êtes en situation de fugitive. Comment se fait-il que nous ne puissions pas vous localiser ? Vous avez trafiqué votre puce* ou quoi d’autre, avouez-le, vous vous en êtes débarrassée, c’est ça ?

  • Absolument pas, Monsieur l’Officier, vous êtes les seuls habilités pour savoir si elle fonctionne ou pas et pour découvrir les raisons ou causes de sa panne ! Rétorquai-je, d’un air indigné, par ces accusations, mais d’un sentiment confiant.

  • Vous allez devoir rapidement nous prouver votre bonne foi, voyez-vous et permettez-moi d’en douter, après votre hésitation à nous recevoir. Vous allez prendre rendez-vous avec, monsieur PAYET, le chirurgien agrégé par la section criminelle du commissariat central, pour constater et remplacer votre puce* défectueuse. Voilà ses coordonnées ! S’écria-t-il, en me tendant une carte de visite de ce spécialiste. Vous avez un délai de quinze jours pour agir, avant notre prochain contrôle. Vous encourrez une amende de mille euros et écoperez d’un mois de prison ferme, si vous n’avez pas agi à cette échéance.

  • Écoutez, je suis sincèrement désolée et extrêmement confuse, vous pouvez me croire, m’excusai-je, d’un ton diplomate, en la prenant et en la glissant dans ma poche. Veuillez vous donner la peine de gagner mon salon, invitai-je, pour apaiser leur irritation. »

L’officier SALOMON semblait contrarié de l’attitude de son partenaire. Il entra le premier et s’y dirigea, suivi de ce dernier. Je refermai la porte et clôturai leur marche. Pendant que je discutais avec son collègue, au sujet de la chirurgie de la section criminelle, il déambula dans la pièce, les bras croisés dans son dos et le front plissé à chaque intonation accentuée de la conversation. Mais très vite, je ressentis son côté narquois et pervers. D’un rictus machiavélique, il fit résonner sa voix flegmatique et lente, pour interrompre notre conversation.

  • « Venons-en au mobile de notre visite. Pour aujourd’hui, vous n’avez rien à craindre, nous avons juste une question à vous poser.

  • Et à quel sujet ? Revendiquai-je, dans un mimétisme absolu. »

Dans la foulée et sans tenir compte de mon intervention, il m’interrogea d’une intonation analogue à la précédente.

  • « Où étiez-vous cet après-midi entre 15 h 15 et 16 h ?

  • En ville, éclairai-je, je faisais des achats en compagnie de mon fils. »

Sami qui venait de fermer la robinetterie de la douche entendit nos débats judiciaires. Il s’enroula dans une serviette et s’immobilisa, silencieusement, à l’intérieur de la salle de bains. Par prudence, je lui avais inculqué de ne jamais se montrer en présence d’un inconnu, tant que je ne lui en donnais pas l’autorisation.

  • « Avec votre fils, observa l’officier, d’un ton désintéressé. Vous avez donc un fils. Et où est-il à présent ?

  • Oh, sous la douche, indiquai-je, d’un air embarrassé.

  • Vous avez entendu parler des mystérieux incendies de ces derniers jours, présuma-t-il, d’une tonalité imposante.

  • Oui, j’en suis informée, d’ailleurs, les plus récents ont été diffusés, dans la minute avant votre arrivée, déposai-je, d’une voix teintée de sincérité. Et j’ajouterai même que nous étions dans ces lieux, avant les incendies, cet après-midi, mais nous n’en sommes pas les auteurs.

  • Merci, de votre honnêteté, quoique, elle n’est pas nécessaire. Il se trouve que les caméras de surveillance de deux magasins sur six vous y ont filmé, vous et ce jeune homme que vous identifiez comme étant votre fils, bien sûr. “En douterait-il de nouveau ? Pensai-je, dans l’effroi. Pourvu qu’il n’exige pas le contrôle de sa puce.* Ce serait pour alors la fin.” Vous êtes nos premiers témoins officiels, précisa simultanément l’officier SALOMON. Tenez ! C’est une convocation pour une déposition, demain, au central de la rue Malartic, à 14 heures, avec l’officier HOAREAU de la police judiciaire de Saint-Denis. »

J’avalai avec difficulté ma salive qui remontait, excessivement, sous l’effet d’un énorme stress. Puis, poliment et en cachant mon angoisse, je leur confirmai, d’une voix feutrée et d’un sourire contrôlé :

  • « Bien entendu, Messieurs, j’y serais. »

DU VERN qui se tenait dans un pesant mutisme, depuis plus de cinq minutes s’était rapproché de la table de ma salle à manger et scrutait, sans scrupules, tous mes papiers administratifs, mes courriers du jour et notamment, cette enveloppe mystérieuse, dont j’ignorai toujours l’expéditeur, le ou les destinataires et le contenu. Dans la seconde où je m’en aperçus, mon regard désapprobateur l’en éloigna. Je les raccompagnai à la porte et la refermai à double tour, après leur départ. Subitement, prise de doute et de frayeur, l’idée de consulter le NET sur cette affaire me traversa l’esprit. Je me précipitai sur mon PC, pour éplucher les archives des journaux. Désappointée, je ne pus consentir le côté suspect de notre présence sur les lieux. « Mais en quoi Sami et moi sommes-nous concernés ? Rêvassai-je, l’estomac noué et rempli d’aigreurs d’anxiétés. » Brusquement, sans raison apparente, une culpabilité m’envahit. Mon p’tit loup enfila son beau pyjama en coton beige, décoré de letchis d’un rouge flamboyant, avant de quitter sa cachette. À mon insu, il se tint dans mon dos, pour observer mes activités et gestes. Au bout d’à peine cinq minutes, mes émotions le contaminèrent.

  • « Qu’est-ce qu’il se passe, mam ? S’inquiéta-t-il, en se montrant et d’une inflexion empreinte de frayeur, tu es toute blanche, comme si que tu avais vu un fantôme et tu transpires encore plus que d’habitude.

  • Je ne sais pas, mon cœur, lui satisfis-je, je suis convoquée demain au commissariat central, pour témoigner de notre présence, sur les lieux de chaque incendie. Tu ne caches pas des boîtes d’allumettes ou un briquet dans tes poches, j’ose espérer !

  • Oh non, mam ! Jamais ! Jamais ! Réfuta-t-il, les mirettes ouvertes d’étonnement. Me soupçonnerais-tu ?

  • En aucune façon, je tiens tout simplement, par des arguments solides, à nous mettre à l’abri de toute inculpation qui serait issue d’une erreur judiciaire, liée à une probable mauvaise interprétation de ma future déposition, de prime abord, par le fait que je ne fume pas et que je n’ai ni briquet ni allumettes, ni à la maison ni dans mes affaires personnelles. J’ignore pourquoi, mais ces deux officiers ne m’inspirent guère confiance.

  • Et moi, suis-je convoqué aussi ? Questionna-t-il, les sourcils plissés d’inquiétude.

  • Attends, je consulte mon assignation, avant de te répondre et de te sortir une bêtise, stipulai-je… il me semble que non… il n’y a rien qui le formule officiellement, rassurai-je, à la fin du document.

  • Je t’accompagnerai demain ? Interrogea-t-il, le visage illuminé de désirs.

  • Non, mon chaton, tu iras chez Manou, en attendant ma déposition, je ne pourrais pas t’emmener, c’est trop risqué, avertis-je, en glissant mes doigts dans ses cheveux soyeux, pour adoucir sa peine relative à ma désapprobation. Si tu veux, je viendrais te chercher, dès qu’elle sera finie.

  • Maman, tu as omis de leur demander, si ces deux incendies ont provoqué des victimes, rappela mon p’tit loup, d’une voix anxieuse.

  • C’est vrai, j’ai laissé ma peur dominer sur la situation, mais l’effet de surprise de leur investigation m’a tétanisée, justifiai-je, d’un air désabusé. Les journaux de 20 heures nous apporteront des précisions, sur les conséquences de ces incendies, il n’y a pas de quoi s’en inquiéter, pour le moment. Mine de rien, il est déjà 19 h. C’est bien triste toutes ces nouvelles, mais je commence à avoir un petit creux et toi ?

  • Un énorme, cela sent bon en plus ! Je vais mettre la table ! S’enthousiasma Sami, d’une voix dynamique, en se dirigeant vers la cuisine.

  • Excellente idée, mon ange, complimentai-je, la vue rivée, sur sa trajectoire et d’un air satisfait. »

Toutefois, cette joie n’était qu’une apparence de mes émotions intérieures, car à cet instant, la pensée de faire face au tendre chevalier qui fait battre mon cœur m’amena à réfléchir deux minutes, sur un dilemme déstabilisant. « Dois-je l’avertir de ces incidents ou pas ? ... Logiquement, je devrai le faire… Mais… je crois que je vais laisser passer quelques jours… D’un autre côté, s’il l’apprend par quelqu’un d’autre, comment va-t-il réagir ? … Oh non, il vaut mieux que je le fasse… » Finalement, malgré mes craintes, je repoussai ma réflexion à une échéance ultérieure, afin d’observer la tournure des évènements des jours à venir et la prendre en considération, dans ma décision définitive. Sereinement, je repris le cours de ma simple vie, en observant l’adresse et l’art de mon fils à décorer une table. Soudain, je fus emportée par une impétueuse suspicion du ressort de cette convocation. « Qu’est-ce que ça signifie tout ça ? Pourquoi me convoque-t-on pour une déposition, un dimanche ? Cette affaire aurait pu attendre lundi. Et pourquoi au commissariat central, alors qu’il y en a un, à cent mètres d’ici ? Mon tendre Loïc aurait pu certainement me fournir des explications à ce sujet, mais… » Et je repartais sur une effroyable hésitation à me confier à l’homme de ma vie. L’ampleur de mon tourment provoqua une sensation de précipitation du temps. Ce qui me convenait humblement, car je souhaitais clore cette affaire, le plus rapidement possible. Sami m’en délivra par l’odeur alléchante des plats qu’ils avaient pris soin de réchauffer et qu’ils déposaient sur la table de la salle à manger. Nous dînâmes dans le mutisme, puis mon fils me tendit l’enveloppe qu’il avait glissée dans sa poche, lorsqu’il avait débarrassé la table de ce qui l’encombrait, avant de l’habiller d’une étoffe de lin vert pomme, de deux parchemins rouge foncé, de belles faïences et de beaux couverts assortis. Le cachet de la poste indiquait sa provenance. Mon p’tit loup le fixait avec avidité.

  • « Alors ? Qu’est-ce qu’elle nous révèle ? S’enquit celui-ci, les yeux pétillants de curiosité et d’impatience.

  • Elle vient du Finistère, informai-je, de Brest, plus précisément, elle nous est bien adressée, par contre, elle ne mentionne aucune identité de l’auteur.

  • Pourquoi n’était-elle pas dans notre boîte aux lettres, avec les autres courriers ? Suspecta-t-il, les yeux plissés.

  • Un de nos sympathiques voisins l’a peut-être reçue par erreur et l’a glissée sous notre porte, pendant notre absence, énonçai-je, c’est du moins ce qui me paraît le plus probable. Voyons voir ce qu’elle nous réserve, fis-je, en la décachetant. »

Une lettre soigneusement pliée s’y trouvait. Je la sortis de l’enveloppe, la dépliai avec délicatesse et découvris, le regard allumé de stupéfaction, une petite et fine plaque noire.

  • « Qu’est-ce que c’est ? Chercha Sami, en se hissant au-dessus de mes mains, pour améliorer sa visibilité.

  • Je l’ignore, avisai-je, je vais la prendre, méticuleusement, pour ressentir sa matière entre mes doigts. On aurait dit une pierre, oui, de la pierre taillée, genre silex ou autres, mais absolument pas de la roche volcanique d’ici ni un minéral ni une pierre précieuse.

  • Tu ne peux pas être un peu plus précis ? S’enquit mon fils.

  • Tu sais, j’ai été une fine collectionneuse de minéraux et de pierres plus ou moins originales dans ma jeunesse. Or là, franchement, je ne peux ni me prononcer sur la véritable nature ni sur l’origine de celle-ci.

  • Donne-la-moi ! Réclama mon petit prodige. »

Sans hésiter, je la lui remis.

  • « Effectivement, rien quand la touchant, elle a l’aspect physique d’une pierre, confirma-t-il, d’un air concentré. Hum !!! Elle est épaufrée… de six millimètres d’épaisseur… d’un gris tirant sur le bleu… je dirais… que c’est une roche métamorphique… de la famille des schistes… Pour être plus clair, c’est de l’ardoise. C’est une variété de roche que l’on retrouve en Bretagne. Sous sa forme taillée, elle recouvre la quasi-totalité des maisons. Je l’ai vue dans une émission, sur le lac de Guerlédan, à la télé.

  • Une ardoise ! Découvris-je, le visage marqué par la surprise. Mais qui nous l’a envoyée et dans quel intérêt ? M’inquiétai-je. Il n’y a aucune inscription sur la lettre.

  • Peut-être mamie, suspecta mon p’tit loup, d’un air convaincu, ma mamie, pas Manou, bien évidemment, mais ma véritable mamie.

  • Non, je ne pense pas, réfutai-je, elle ne vit pas à Brest et elle aurait au moins signé le courrier, sans négliger le fait qu’elle ne nous a pas donné de nouvelles, depuis un moment déjà et...

  • Man ! Interrompit mon bambin, des lettres y sont gravées.

  • Tu en es sûr, doutai-je, avec effroi, en me rapprochant, aussitôt, de ce mille-feuille naturel.

  • Oui, regarde !

  • ORACUM HEROS Y, * lus-je. Qu’est-ce que cela signifie ?

  • Eh bien là ! Tu me poses une colle, avoua Sami, d’un air déçu, je l’ignore totalement.

  • C’est peut-être du latin, il faudrait le taper dans un des moteurs de recherche du web ou sur une page traductrice, pour le savoir mais… nous le rechercherons plus tard, parce que demain, une rude journée m’attend, suggérai-je, l’expression soucieuse.

  • Tu as raison, il faut te présenter au commissariat et répondre de notre présence sur les lieux des incendies, avec un Esprit saint, dans un corps sain, adhéra-t-il, d’une inflexion consciencieuse. Prends ta douche, moi, je débarrasserai la table, proposa-t-il, d’un ton attentionné.

  • Merci, mon ange, tu es à croquer, gratifiai-je, en le serrant contre moi. »

Rassérénée, je me rendis dans la salle de bains et profitai de cette eau fraîche des sources de nos belles ravines engorgées de pluies affluentes, durant dix minutes. Puis, épuisée par les évènements qui s’étaient déroulés au cours de la journée, je m’endormis devant le poste de télévision, juste avant les informations régionales et nationales. Comme de coutume, Sami se trouvait dans sa chambre et entretenait ses plantes, avant de se coucher.







Chap. II

Dans L’antre De La Démesure.




Le lendemain matin, il m’apprit l’état actuel des faits criminels de l’incendie. Il avait suivi les informations télévisées de sa chambre, par le son de mon poste de télévision qui les avait transmises à mon insu. Une dizaine de blessés étaient recensés par la police judiciaire, dont trois, dans un état grave et un très critique. Après une matinée pesante, mon instinct de survie me conduisit devant le commissariat central de police de la rue Malartic. Était-il prudent de rouler ? J’étais dans l’incapacité de mesurer le danger ni de m’apercevoir que les rues de la ville étaient désertifiées. Il est vrai qu’avec le taux fulgurant de la pauvreté, le nombre de voitures, en circulation, dans l’île chutait d’année en année, depuis la fin des plus grands cataclysmes, de ces deux derniers siècles, jusqu’à ce jour. Les chaussées avaient subi le même déclin, beaucoup d’entre elles étaient impraticables et interdites d’accès. Néanmoins, en ce beau dimanche ensoleillé, la majorité des citadins de la première classe et de la moyenne se pavanaient à la plage ou profitaient de la nature en montagne et s’y revivifiaient. Mais moi, mon état d’accablement emprisonnait ma conscience, dans un cercle vicieux, où mon angoisse alimentait mes doutes qui amplifiaient de nouveau celle-ci. Des bouffées de chaleur entrecoupées par des frissons de frayeur s’emparèrent de chaque centimètre carré de mon corps. Une sueur torrentielle glissait sur mon front et m’incommodait excessivement. Je pressentais une possibilité d’inculpation, sans en comprendre la raison. Avec courage, je me présentai à l’accueil. Je m’étais revêtue d’un resplendissant pantalon tailleur blanc, en col de soie satinée, que ma mère cachait dans les placards de notre demeure familiale, et je m’étais chaussée d’une belle paire de mocassins, en cuir satiné blanc. Il faut dire qu’en ces temps de grande pauvreté intellectuelle et financière, tout signe extérieur de richesse était une cible assurée d’agressions et de vols. Et à moins d’une soirée mondaine exceptionnelle et privée, les rares citoyens modestes qui pouvaient encore s’offrir une belle parure la dissimulaient, dans les coffres-forts des combles de leur demeure. Dans ma situation, je souhaitais agir, en ma faveur, sur l’indulgence du commissaire chargé de prendre ma déposition, par une apparence soignée et une attitude correcte. D’ailleurs, la beauté et l’éclat de ma parure détournaient tous les regards, vers mon visage pâli de frayeur. Une adjointe administrative de police et un brigadier se tenaient au comptoir d’accueil, lorsque je franchis le sas de l’entrée. Dès qu’ils s’en aperçurent, ils m’accueillirent avec diplomatie. Je leur remis ma convocation et observai chacune de leurs réactions. À peine eurent-ils contacté l’officier HOAREAU, chargé de l’audition, qu’un homme d’environ une trentaine d’années pénétra, avec assurance, dans ce même hall. Son métissage hors du commun lui conférait un air autoritaire et provoquait la perplexité de tout premier interlocuteur. Sa peau bronzée et ses cheveux d’un châtain clair doré soulignaient le vert émeraude des iris de ses yeux bridés. Sa physionomie reflétait incroyablement et pratiquement l’ensemble des ethnies de l’île. D’emblée, son annonce me pétrifia et me scotcha au sol.

  • « Bonjour, Mademoiselle BOYER, merci, pour votre ponctualité, je suis l’officier HOAREAU de la police judiciaire, de la Préfecture de Saint-Denis, nous avons omis, accidentellement, de vous notifier de vous présenter avec votre fils. Mais nous avons entre-temps réparé notre erreur. J’ai en ma possession une ordonnance d’une commission rogatoire du juge d’instruction, pour l’auditionner également, déclara-t-il, avec amabilité. Je vous remets donc sa convocation.

  • Auditionner mon fils ! Soulevai-je, d’un ton contenu et les prunelles ouvertes de panique, en prenant le courrier qu’il me tendit. Bi... Bien entendu... »

Dans l’espace d’une seconde, mon cerveau cogita pour me sortir de mon état d’effroi. L’aspect positif de ce premier contact, avec cet officier qui me semblait plutôt sympathique ne me rassurait guère. Pourtant, mon intuition me rappelait assidûment que je n’avais rien à me reprocher. En plus, l’appréhension, liée à cette audition, que j’avais éprouvée hier, durant mon trajet s’était estompée, grâce à l’amabilité des brigadiers à l’accueil. Au-delà de tout espoir, je réussis à faire abstraction de ce qu’il s’était dit à l’instant, en lui présentant, d’une voix pas très rassurée, mes civilités un peu décalées.

  • « Excusez-moi pour mon manque de savoir-vivre. Bonjour, Monsieur l’Officier !

  • Enchanté, Mademoiselle BOYER, il va de soi, bien entendu. Je vous en prie, appelez-moi HOAREAU et suivez-moi dans mon bureau. »

Sans réagir, je le suivis à l’étage au-dessus. Pourtant, je n’eus qu’une phénoménale envie, fuir. Sur le seuil d’entrée de sa porte, il s’arrêta pour m’accorder le passage.

  • « Allez-y, entrez et asseyez-vous !

  • Oui, Monsieur, merci, balbutiai-je, la mâchoire crispée, le teint blafard et les mirettes cernées de fatigue. »

Son local n’était pas très grand, mais convivial. Parmi les dossiers de photos de certains criminels et des personnes recherchées pour un délit, il avait placé, à la gauche de son ordinateur, des photos d’enfants et d’une famille que je supposai être la sienne. Sur le mur à droite de l’entrée, des clichés de scènes de crimes placardaient un tableau de liège. Celui d’en face supportait un grand miroir et un petit distributeur d’eau. Derrière son bureau, des tableaux de chiens et de chats encadraient celui de leur confrérie. Ses détails confirmaient mes intuitions sur la confiance que je pouvais lui accorder. Pour un officier de la police judiciaire, il était différent de ceux de la veille et il essaya par une attitude courtoise de me mettre à l’aise.

  • « Détendez-vous, Mademoiselle ! Il fait assez chaud comme ça et votre crispation ira de pair avec votre sueur.

  • Je…, je vais essayer, bégayai-je, d’un air terrorisé.

  • Tenez ! Prenez un mouchoir, dit-il, en me tendant sa boîte à serviette de papier recyclé. Rassurez-vous ! Nous n’avons vraiment pas l’intention de vous arrêter, pas la si belle et intelligente serveuse que vous êtes, à moins que vous ne soyez notre fameuse pyromane. Mais vous n’avez absolument pas cette tête-là et vous n’avez pas de casier judiciaire, il me semble. Par contre, vous vous rapprochez dangereusement de celle d’une femme qui agonise terriblement, dans d’atroces souffrances. Allons, allons ! Reprenez-vous, soyez forte et confiante, conseilla-t-il, d’un ton attentionné. Je suis convaincu que c’est à la hauteur de vos possibilités. Vous allez juste devoir répondre à quelques questions. Il n’y a rien d’effrayant à s’y soumettre et il est impératif que vous soyez concentrée, pour vous remémorer les évènements passés, dans l’ordre chronologique de cette affaire d’incendie.

  • Merci beaucoup, à vous, de me soutenir avec autant d’empathie, car j’avoue que j’en ai bien besoin à cet instant même, observai-je, le regard troublé d’intimidation.

  • Allez, ça va bien se passer, je vous garantis d’un jugement impartial. Et prenez tout votre temps, réfléchissez bien avant de répondre. Je vais démarrer l’audition. Comment justifiez-vous votre présence et celle de votre fils sur chaque lieu du crime ? Assigna-t-il, d’emblée, d’un ton calme et posé. »

Inéluctablement, il atteignit son objectif. La trépidation de mes mains cessa et je pris un peu plus d’assurance. Sachant que l’officier DU VERN avait fait allusion à deux caméras sur six, je réfutai le sujet, d’un air étonné :

  • « sur chaque lieu !

  • Du moins sur deux, reprit l’officier HOAREAU, nous en possédons les preuves qui, d’ailleurs, ont été portées à votre connaissance hier, lors de votre entretien, avec deux officiers de la maison, et durant lequel vous nous les avez également confirmés. Selon vos propos, vous étiez effectivement en ville, en compagnie de votre fils, dans l’après-midi du samedi et vous étiez sur les lieux des incendies qui font les objets de votre interrogatoire. C’est écrit noir sur blanc, dans le rapport des officiers SALOMON et DU VERN. Ce qui constitue deux pièces à conviction qui impliquent une justification de votre part et des détails, sur le déroulement des faits.

  • Oui, en effet, nous étions bien dans ces commerces, pour effectuer quelques achats destinés à mon fils, par contre c’était bien avant les incendies, nous n’avons vu aucun signe précurseur annonçant leur départ, ni pensé à l’éventualité de tels délits criminels. Mais est-ce que vous me soupçonnez ? Si vous portez le moindre soupçon sur moi, je ne sais pas ce que je pourrais vous dire de plus, à part vous clamer mon innocence.

  • Ne vous emballez pas, Mademoiselle, et évitez, s’il vous plaît, d’anticiper toutes les actions et conclusions à venir, vous vous mettez la pression inutilement, recommanda l’officier HOAREAU, d’un ton diplomate. Y aurait-il une raison qui m’amènerait à penser que vous êtes l’auteur, de ces incendies criminels ?

  • Aucune, je vous rassure, déclarai-je, d’une voix catégorique. Je ne suis pas à l’origine de ces sinistres et même s’il advenait que j’aurais pu les provoquer, accidentellement, je ne vois pas de quelles manières cela aurait pu se produire. Je ne fume pas, je ne me drogue pas et je ne bois pas non plus. Je n’ai pas d’antécédents avec la police, énumérai-je, d’un air déconcerté… à part… à part la fois où je me suis retrouvée en contresens, d’une rue mal signalisée, repris-je, d’une intonation teintée de sincérité. »

Il marcha dans toute la pièce et tourna autour de mon fauteuil. Son visage traduisait son embarras de maintenir ses sentiments subjectifs, dans la limite du respect de la présomption d’innocence et donc de la loi.

  • « N’avez-vous vraiment rien remarqué de suspect, durant ce laps de temps ? Continua-t-il, le front plissé d’incertitude.

  • Non, j’ai beau réfléchir, mais je ne vois rien, rétorquai-je, timidement. C’était un samedi après-midi comme les autres, avec beaucoup de monde au centre-ville.

  • Que faisiez-vous il y a quinze jours ? Questionna-t-il, la conscience excitée d’avidité.

  • Si vous faites allusion au troisième samedi du mois de juillet, j’étais dans la matinée chez moi et de 14 heures jusqu’en fin de soirée, sur mon lieu de travail, mes collègues et mon patron peuvent en témoigner, m’acquittai-je, d’une inflexion empreinte d’assurance.

  • Bien ! C’est tout pour aujourd’hui, Mademoiselle, avertit-il, d’un air plus clément, restez sur le territoire ou avertissez-nous de tout départ, au cas où la justice vous solliciterait, pour une seconde déposition, sur cette affaire. Et je vous rassure, cette assignation à résidence du juge d’instruction et de madame la substitute du procureur n’est en rien une accusation. C’est juste une procédure administrative et judiciaire censée faciliter les enquêtes et les rendre moins coûteuses. N’oubliez pas de revenir avec votre fils dans la semaine. Je ne vais pas vous fixer un rendez-vous pour cette fois. Par contre, passez-moi un petit coup de fil, pour m’avertir de votre arrivée, avant de venir. Surtout dans l’éventualité où vous préféreriez que je traite personnellement votre dossier, conclut-il, d’un ton affable, en refermant d’une main, la chemise contenant les informations de l’enquête judiciaire, sur son bureau. Avant de vous libérer, si vous me le permettez, je vais procéder à une deuxième vérification de votre puce,* prôna-t-il, d’un ton nuancé de délicatesse et d’autorité. »

À mon grand soulagement, il abrégeait l’audition. Je m’empressai de lui donner mon accord, pour subir le contrôle de ma puce,* malgré mes premières craintes, lors de l’inspection des deux premiers officiers, dont les souvenirs soulevèrent une brève appréhension, à cet instant. Il faut dire que je savais exactement ce que j’allais lui répondre, à propos de l’inexistence de Sami, dans le fichier de ma puce,* afin de gagner du temps, sur mes futures réflexions et décisions, en fonction de l’évolution de ma situation.

  • « C’est un honneur de vous prouver mon honnêteté, Monsieur, l’offi… euh ! ... Excusez-moi, Monsieur HOAREAU. Et pour mon fils, je tâcherai me souvenir de vos aimables suggestions et vous le présenterai pour son audition. »

Il s’approcha et entra mon code d’identification dans son Électrodétecteur.* Un point rouge de son appareil clignota simultanément, à un son strident et semblable à une alarme de détenus, en évasion. Pendant que le bruit résonnait dans mes tympans, le souvenir de cette odeur de fumée, devant la devanture du magasin de chaussures, surgit dans ma pensée.

  • « Eh bien ! Tout m’a l’air dans les règles par ici, votre identité, vos empreintes digitales et oculaires, votre ADN, votre historique juridique et judiciaire, ceux de votre fils y sont, il ne manque rien. Je vois que les mises à jour annuelles sont tenues, vous ne pouvez pas être plus conforme envers la loi en vigueur. Alors, qu’est-ce qu’ils ont rapporté ces deux goupils ? Observa-t-il, à propos de ses collègues, même votre photo d’identité et celle de votre fiston sont à jour. “Hein !!! Qu’est-ce qu’il raconte ? Songeai-je, simultanément. C’est... C’est impossible !” Voilà ! Vous n’avez plus à vous en faire, jeune demoiselle ! Continua-t-il, d’un ton affable. Je rectifierai le rapport établi contre vous et signalerai leurs erreurs à mon supérieur. Ils ne pourront pas s’y opposer, car l’ensemble du personnel du commissariat se porte garant du bruit qu’a émis mon Électro.* C’est la garantie de la présence et du bon fonctionnement de votre puce.*

  • Je vous remercie infiniment, Monsieur HOAREAU. Vous avez le profil type du fonctionnaire de police, en qui tous citoyens accorderaient aveuglément sa confiance, en étant rassurés d’un débouché honorable et respectueux.

  • Merci, de votre éloge, Mademoiselle, je vous raccompagne à la sortie, évoqua celui-ci, en m’invitant à engager la marche.

  • C’est très aimable à vous, mais avant de sortir de cette pièce, j’ai quelque chose à vous confier.

  • Allez-y, je vous écoute, suggéra-t-il, d’une voix enjouée.

  • Certains souvenirs de nos emplettes de ce fameux et redoutable après-midi viennent d’émerger de ma conscience, déclarai-je, d’une intonation confiante. Lorsque nous étions devant le magasin de chaussures, une odeur suspecte nous était parvenue. J’ai même cru qu’il s’agissait du moteur de ma voiture.

  • Dites-moi, si vos souvenirs sont clairs, quelle heure était-il exactement ? Sollicita l’officier HOAREAU, d’un ton plus sérieux.

  • Aux environs de 16 heures, précisai-je, les pupilles dilatées de véridicité et d’émotions.

  • Et bien, je vous remercie pour votre précieuse déposition, Mademoiselle BOYER, elle nous sera d’une très grande utilité, dans la poursuite de notre enquête, gratifia-t-il, d’une voix honorable. Venez, je vous raccompagne et si d’autres moindres détails vous revenaient, aussi infimes qu’ils ne vous paraissent, n’hésitez pas à m’en informer à toute heure de la journée, au commissariat ou directement sur mon portable, dont vous trouverez le numéro, sur cette carte de visite. Gardez-la soigneusement.

  • Je prends note, Monsieur HOAREAU, et merci, pour la carte.

  • Vous êtes venues en Tram ? S’enquit-il, d’un ton attentionné.

  • Non, en voiture, précisai-je.

  • Alors, soyez vigilante et prudente sur la route. À bientôt, Mademoiselle, salua-t-il, d’une voix affable. Et la prochaine fois, à moins que vous n’ayez des achats volumineux à faire, comme je ne vous ai pas astreinte à une heure fixe, pour votre fils, utilisez le tram-train et les transports en commun, d’autant plus que vous êtes seule, il ne faut pas que nous relâchions nos efforts pour la planète, après les cauchemars éveillés que le ciel et la terre nous ont fait vivre. Même s’il est un peu vétuste ce tram, nous avons eu tant de mal à le maintenir en route qu’il faut continuer à le rentabiliser, envers et contre tout, afin de privilégier d’autres secteurs du projet de Sauvegarde De La Planète.*

  • Bien entendu, Monsieur HOAREAU, j’aurais dû y penser, je m’y attacherai la prochaine fois, au revoir, agréai-je, d’un air ravi et rassuré, en progressant vers la sortie. Et merci, encore, d’avoir éveillé ma conscience, sur ces moments catastrophiques de l’histoire du monde. »

Sous une averse orageuse, je quittai calmement le poste, sans me retourner. Passé le portail, mon angoisse ressurgit brusquement. Dans un élan de panique, après avoir enlevé mes chaussures, je m’éloignai à une vitesse digne d’un record olympique, de peur qu’un autre officier ou agent de la police judiciaire que celui-là ne me sommât à un nouvel examen ou à n’importe quelle autre question. Le battement de mon cœur résonnait dans mon esprit tourmenté, par les évènements de ces dernières heures. « D’où pouvait provenir le dysfonctionnement de ma puce ?* ... Serait-il, lié à mon fils ou à moi-même ? Pensai-je, simultanément à mon sprint. Comment et qui a répertorié Sami dans mon fichier d’identité ? ... D’autant plus qu’il n’en a pas parlé… mais il est convoqué, alors, par quelles tactiques va-t-on pouvoir passer inaperçu, de cette infraction ? ... Pff ! Il faudrait un miracle... Que peut bien contenir ce fichier à l’heure actuelle ? » Essoufflée, je ralentis ma course pour gagner ma voiture stationnée sur la place de Metz. « De quelles manières vais-je procéder, pour obtenir ces informations ? Bien, pour le moment, l’essentiel tient dans la fiabilité de ma puce,* à tout instant crucial. Allez, je vais y arriver ! Je suis une fonceuse ! » Soulagée, je roulais cette fois très prudemment, en direction du boulevard sud, la RN6, à une heure où la ville était toujours silencieuse. La pâleur de mon visage s’effaça progressivement et mes joues reprirent partiellement, de leur couleur rosâtre. À l’entrée de l’immeuble, je n’eus plus qu’une idée en tête, récupérer mon gamin chez Manou qui m’attendait, impatiemment.

  • « Entre vite, ma fille, recommanda celle-ci, d’une inflexion attendrie et usée par les années. Ne reste pas dehors sous cette pluie, je vais te faire un bol de thé bien chaud, pour te réchauffer. Tu es toute froide, ma petite, tu risques de t’enrhumer, observa-t-elle, le front plissé d’anxiétés, en m’attirant simultanément par le bras, vers elle, avant de nous diriger, vers la cuisine. Assieds-toi, incita-t-elle, en me tendant une chaise.

  • Merci, mamounette, formulai-je, d’un ton exténué, un peu de repos me paraît opportun, ces dernières heures m’ont été si terribles que tu ne saurais nullement les imaginer… »

Et je lui racontai l’intégralité du déroulement de mon interrogatoire, dans la précision infime des faits.

  • « Tu n’aurais jamais dû répondre à ces questions, sans la présence d’un avocat, ma pauvre fille, déclara-t-elle, les yeux éclatants d’inquiétude.

  • Rassure-toi, ma petite mamoune, cet homme ne reflétait aucune hostilité, émis-je, d’une voix chaleureuse.

  • Je ne doute pas de son honnêteté, jeune fille, mais uniquement de la valeur des procédures qui ne t’assurent pas une marge de sécurité, contre la moindre possibilité de poursuite, après ta déposition et qui peuvent finir par un mauvais jugement ou une mauvaise interprétation de celle-ci, par ces hommes de loi, précisa-t-elle, les iris incendiés de panique. Un homme de loi est avant tout un homme, avec de superbes qualités, certes, mais pour certains d’entre eux, beaucoup trop à mon goût, avec principalement ses défauts qui, souvent, dévalorisent les valeurs républicaines de ces métiers respectueux et respectables. Défauts qu’ils ne reconnaissent pas et qu’ils n’assument pas toujours d’ailleurs, surtout lorsque cela atteint leur conviction de macho ou de tous autres cultes qui portent atteinte à l’intégrité et la dignité d’un individu, je dirais même une pathologie psychique entretenue, dans le déni, par la société.

  • Soit, Manou, admettons que tu aies raison, avec quoi aurai-je rémunéré cet avocat ? Quêtai-je, d’une intonation avide, même un troc, je ne suis pas en mesure d’opérer en ce sens, par manque de moyens.

  • À ce sujet, je ne peux pas te répondre pour le moment, par contre, je vais me renseigner, offrit celle-ci, les prunelles embrasées de conviction et d’attention. De ton côté, rien ne te retient d’en faire autant que moi.

  • Je reconnais entièrement qu’il est possible que tu aies vu juste, admis-je, le visage empreint de crainte et de doute. Une audition le dimanche au commissariat central, alors que le quartier dispose d’une grande brigade de Police, traduit leur suspicion à mon égard ou cache certainement des réalités plus graves. En plus, je n’ai même pas songé à les interroger à ses sujets. Et j’ignore comment, Sami peut avoir une existence reconnue, dans le fichier de ma puce* et je doute encore plus pour la source de celle des informations qui s’y trouvent.

  • C’est aussi l’objet de mes préoccupations, confia notre doyenne, d’un ton anxieux. Cet enfant n’est pas censé avoir une identité, encore moins une puce,* vu les circonstances de sa venue au monde. Alors, se retrouver dans ton profil identitaire, ce n’est pas un bon signe.

  • Ça y est, nous y sommes, la totalité des portes des ennuis se sont bien ouvertes et je m’y suis bien engouffrée, conclus-je, d’une voix désespérée. Mais je ne les laisserai pas se refermer sur mon passage et m’y emprisonner à vie. En conséquence, j’y vais de ce pas suivre tes conseils. Où est mon bébé ?

  • Pas d’affolement, il joue dans ma chambre, indiqua la gentille et douce mamie de substitution, d’un ton rassurant. Je te le ramène. »

Celle-ci revint avec mon fils qui se jeta, dans mes bras, les lèvres étirées de satisfaction.

  • « Tout s’est bien passé, mam ? Questionna-t-il, le regard scintillant d’appétence de le savoir.

  • Oui, mon cœur, tout est entré dans l’ordre, réconfortai-je, en sachant pertinemment qu’il devra, par obligation, se présenter à l’officier HOAREAU, pour une déposition, dans peu de temps. »

À vouloir le protéger, j’étais sous l’emprise de mon instinct maternel qui m’empêchait, parfois, d’être un peu plus consciencieuse de nos réalités existentielles, notamment que Sami pouvait connaître la véracité de mes propos et, par conséquent, il m’était inutile de lui mentir. Manou nous accompagna à la porte. Cette vieille femme était une voisine, en qui j’accordais ma confiance entière. Sur ses 155 centimètres de stature, elle dégageait, néanmoins, un charme éblouissant, grâce au gris satiné de sa chevelure abondante et une curiosité captivante, au-delà de son look physique et vestimentaire masculin. Toujours souriante et joyeuse, elle passait ses journées à contempler ses fleurs ou certains jours, à lire des contes à sa chatte qu’elle appelait Ti Mimi, un skogatt blanc originaire des forêts norvégiennes, avec des iris vert clair. Parfois aussi, elle parlait toute seule. En quelques mots, selon son entourage, elle souffrait d’une défaillance mentale. Partant de ce fait, à mes yeux, sa conjoncture de vie correspondait parfaitement à tous mes critères relationnels, pour lui confier mon p’tit loup. Ce petit homme était un enfant différent des autres. Il souffrait de la maladie du soleil, nommée dans un langage scientifique le xéro derma pigmentosum.* Ce qui expliquait la présence, sur son corps, d’une double peau en lycroma* que j’appelais enveloppe charnelle.* Du moins, c’est l’apparence que j’offrais aux curieux, car en vérité, le problème était tout autre. En cette période, Sami, Manou et moi le connaissions bien et l’apprivoisions chaque jour. D’ailleurs, la forte intuition que l’existence de mon chérubin était liée à la mienne et que la rencontre avec notre sorcière bien-aimée n’était pas le fruit du hasard survenait tout le long de mes péripéties. Je vais vous en exposer les raisons, à travers mon enfance que je vous dévoile à présent, sans retenue, puis en relatant le passage de mon étrange découverte, jusqu’à ma conclusion finale. À vous d’en juger.



(*) Glossaire page 333

(°) Langues et expressions page 335






Chap. III

Le Rivage De L’enfance.




Je me prénomme Christine. BOYER est mon nom de famille. Par une très froide matinée d’hiver, du 23 janvier de l’année 2216, le monde me pointa les prémices d’une longue vie, à Saint-Denis de l’île de la Réunion, un département français situé dans l’océan Indien. Aussitôt, un lieutenant chirurgien de la section criminelle du commissariat central, mandaté par le substitut du procureur pour la gestion judiciaire des naissances, m’implanta une puce* électronique de détection et de localisation des individus, à la maternité de l’hôpital des armées. Les autorités compétentes nationales avaient imposé ce système de sécurité à chaque citoyen, depuis les années 2175, afin d’éradiquer toutes formes de délinquance criminelle qui sévissaient, dans tous les départements français. Saint-Denis, la capitale de l’île, était une grande ville moderne et ouverte sur tous les continents. Elle n’avait pas subi l’évolution destructrice des infrastructures et des citoyens des grandes agglomérations de la métropole et constituait au plan national, un carrefour stratégique des conférences gouvernementales et scientifiques, sur le destin écologique de la France et du Monde. Cette année-là, une nouvelle série de catastrophes naturelles conséquentes au bouleversement climatique se produisit à travers les pays et continents, en n’épargnant personne. Il en résulta une effroyable pénurie d’eau potable. La moitié des sources planétaires étaient polluées. Une recrudescence mondiale de mort-nés et de nouvelles maladies infantiles était réapparue, dans l’intégralité des familles de l’ensemble des classes sociales, à compter de la disparition des dernières calottes glaciaires et la fonte bien entamée des permagels des deux pôles. Ces deniers évènements accrurent cette croissance d’hécatombes infectieuses et virales. Les grossesses et les naissances se vivaient dans l’angoisse et la souffrance d’un potentiel décès, de chaque mère et de sa progéniture. Certaines mouraient de déshydratations ou d’hémorragies, à la suite des complications de leur enfantement. D’autant plus que l’accès aux soins médicaux, ainsi que celui de l’instruction n’était réduit qu’aux portefeuilles de chaque individu. Mes parents m’avaient tellement souhaitée, que mon père avait anticipé les soucis et pris soin d’isoler son épouse de tous les agents d’infections, durant neuf mois. À l’heure inévitable de l’accouchement, pendant qu’une averse de neige recouvrait la totalité des rues, ils furent partagés entre un sentiment de joie et de terreurs, face à tous ces risques mortels. Heureusement, mon excellente santé leur épargna d’affreuses douleurs psychiques. Celle de ma mère était saine également. Que du bonheur ! Quiconque ne pouvait espérer mieux.

C’était une époque où les sectes avaient envahi tous les continents. Depuis les années 1950 jusqu’actuellement, leurs prédictions de fin du monde avaient pris de l’ascension, grâce à une diffusion massive de celle-ci, à travers des revues spéciales et des magazines télévisés, des chaînes souvent privées, dans tous les coins de la planète. Par contre, dans l’île, juste après le XXIIe siècle, nous avions été à l’abri de ces mouvements charlatanismes, durant deux décennies. Ayant conservé ses atouts attractifs, la région demeurait le repère touristique très convoité des Européens et des étrangers. Elle affichait deux saisons bien prononcées, l’été et l’hiver qui ne durait que trois mois, de janvier à mars, mais qui parfois pouvait être très neigeux ou verglaçant, sur l’ensemble du territoire. La Réunion était le seul endroit du globe terrestre qui avait subi, dès le XIXe siècle et par les nombreuses éruptions volcaniques de tous ses cratères terrestres et océaniques, de petites extensions en superficie. Et à la longue, elle affichait un agrandissement de 30 km carrés en moyenne par an, avec un chiffre très étonnant de 58 km carrés 200 en 2129, du fait de l’écoulement, vers la mer, de la lave incandescente qui se figeait au contact de l’eau tempérée de l’océan. Favorablement, ses éruptions se déroulant, en grande partie, dans l’eau et en bordure des côtes ne furent d’aucun danger, pour la population et les infrastructures de l’île.

Nous vivions dans une grande maison, construite selon les normes écologiques et anticycloniques d’une époque lointaine, au centre de la ville. Notre demeure ancestrale qui constituait l’héritage familial de ma mère, de génération en génération et qui était classée, dans le registre des patrimoines nationaux se situait dans la rue de Paris et présentait tout le charme de l’architecture créole ancestrale. Courageusement, elle avait survécu à de nombreux cataclysmes, dus aux caprices du climat qui ne ménagea guère les infrastructures immobilières de la région, comme furent démolies massivement celles de la métropole. Par contre, nous évoluions dans un contexte économique et social, plutôt agréable, pour une catégorie de gens et impitoyablement exécrable et misérable, pour les autres. Cependant, l’un comme l’autre étaient à l’abri de la grande délinquance juvénile que subissaient de plein fouet les départements français et qui, malgré le système efficace et inhumain de sécurité électronique, persuada le gouvernement à rétablir le couvre-feu national d’une troisième guerre qui, cette fois, n’était pas mondiale, mais plutôt civile et locale.

Gracieuse et souriante, je découvrais le monde sous l’admiration de mes parents, en balbutiant précocement. À tout juste neuf mois, j’exécutai mes premiers pas et développai ma hardiesse. Dès l’âge d’un an, mes grosses boucles blondes retombaient sur mes épaules et quelques taches de rousseur apparurent. Mon vocabulaire s’élargissait et mon talent de chanteuse se développait. J’esquissais certains airs des variétés françaises de l’époque, lorsque je me réjouissais des moindres moments de bonheur en famille. Mon père, Maxime, adjudant-chef de l’armée de terre à la retraite, assurait le poste de courtier, d’une des deux caisses d’assurance vie de l’île. À ma naissance, sa joie fut de constater mon éveil très avancé. Et au fil du temps, cette précocité se confirmait. C’était un homme aux cheveux bruns, de type européen, légèrement baraqué, avec des traits plutôt fins et élégants sur ses 1 mètre 84. Par contre, ma mère, Françoise qui ne mesurait que 150 centimètres ne manquait pas de rondeurs, bien placées. De type européen également, ses cheveux d’un noir soyeux glissaient sur ses épaules, jusqu’au bas du dos et relevaient la blancheur de sa peau dénuée d’imperfections ou de signes quelconques. En complicité, ils avaient plaisir à s’habiller bon chic, bon genre et profitaient de toutes les soirées dansantes entre amis et proches, en prétextant qu’on n’avait qu’une seule vie. Ma mère qui était une femme au foyer avait un caractère un peu plus réservé et voyait d’un mauvais œil la rapidité à laquelle je cheminais vers mon autonomie. Elle avait reçu une éducation rigide, dont les valeurs se reposaient sur une adhésion à la tranquillité quotidienne que procurait un état d’ignorance, en matière de relations humaines, amicales et surtout sentimentales, malgré sa grande culture et ses capacités intellectuelles plutôt élevées. Certes, son choix facilitait l’existence, mais en contrepartie, la menait droit à la dépendance et à la soumission d’un tiers, ainsi qu’à l’incapacité de prendre la moindre initiative autonome.

  • « Tu vas t’attirer des ennuis, si tu grandis avec autant de témérité et de pitrerie, grondait-elle, en journée. »

Et moi, je lui répondais en chantonnant et en dansant autour d’elle, sur des airs de mes compositions et des pas de ma propre improvisation qui l’agaçaient toujours, par contre, pas autant que les fois où je fredonnai, avec ferveur, ma mélodie liée à mon refus de l’aider, aux tâches ménagères.

  • « Ne t’en fais pas, maman ! Ne t’en fais pas ! Tu te fais beaucoup trop de tracas ! Un jour, tu verras, un jour, tu verras…

  • Christine ! Veux-tu te taire ! Sommait-elle, d’un ton colérique, pendant que j’entonnais de plus belle.

  • Ne t’en fais pas maman ! Ne t’en fais pas ! Tu te fais beaucoup trop de tracas ! Un jour tu…

  • Tais-toi petit monstre, exigeait-elle, d’une voix criarde, en brandissant le manche à balai, avant de me punir par l’obligation de répondre, à des travaux d’intérêts collectifs familiaux. »

Il va de soi que sa colère était fondée. Mais chargée d’espièglerie, avant qu’elle m’eût attrapée, pour me contraindre à appliquer ses ordres, j’avais parcouru un marathon de 2 km autour de notre résidence et dans notre vaste jardin. En dehors de ces fâcheux rapports, c’était une mère aimante et protectrice. Tout ce dont un enfant a besoin, dans les premières années de sa vie, mais avec une certaine liberté de prendre quelques risques, plus ou moins encadrés, afin qu’il puisse se construire.

À partir de 2220, l’année de mes quatre ans, les marchands de bonnes aventures multiplièrent leur prédiction de catastrophes, dans les rues de la métropole. Malheureusement, ils élargirent leur terrain de prédilection, en gagnant également l’île. Bien implantés, les adeptes de la superstition commencèrent à former des mouvements sectaires, à couvrir les premières pages de la presse et à envahir les écrans télévisés, ainsi que les stations de radio. Une terrible pluie de météorites vint étayer leur croyance et attira de nombreux disciples. Avec le réchauffement de la planète, le climat s’était complètement déboussolé et la température des océans avait dangereusement augmenté. Sur une année, les pergélisols polaires ou permafrosts disparurent. Le niveau de la mer monta, jusqu’à engloutir le premier tiers des kilomètres carrés de roches volcaniques dénudées, autour de l’île, lesquelles enlaidissaient le paysage paradisiaque qu’offrait l’horizon océanique. Cette transformation était conséquente aux impacts de nombreuses météorites et de petites comètes, et à de violents séismes qui soulevèrent de gigantesques tsunamis qui revêtirent, entièrement, l’étendue de laves découvertes restantes, à l’heure où l’Afrique se divisait en trois grandes îles, dans un nouvel océan. Ces intempéries suscitèrent, dans la population réunionnaise, un mouvement d’allégresse, de voir leur petit coin de paradis retrouver son aspect géographique d’origine, malgré beaucoup de dégâts matériels côtiers. À quelques vols d’oiseaux, les Africains s’adaptèrent à leur nouveau relief et créèrent une nation enviée, par le reste du monde. Par contre, d’autres maladies et bactéries apparurent, décimant un bon nombre de la population mondiale, avant que les chercheurs en eussent détecté la source et parvinssent à trouver un remède fiable. Et, malheureusement, d’autres pays et îles payèrent le prix le plus élevé de ces catastrophes climatiques. Les pertes humaines, animales, naturelles et matérielles étaient indéchiffrables et cruelles. La cicatrisation des blessures planétaires évoluait lentement, mais la majorité de celle de toutes les consciences demeurait ouverte et figée, dans des pratiques et croyances ancestrales primitives, parfois destructives physiquement et psychologiquement.

À l’abri de cette agitation, mon attitude un peu effrontée et espiègle, traduite par mon excès d’assurance grandissait, proportionnellement à ma taille. À quatre ans, ma croissance dépassait la limite supérieure médicale référencée. Ma blondeur s’atténua et mes taches de rousseur accentuaient mon air taquin. Ma fierté tenait dans les propos des adultes qui ne me trouvaient aucune ressemblance, avec mes parents. J’étais un être unique et pour moi, ce compliment tenait une place importante, dans les considérations des valeurs morales et vitales auxquelles je m’y référais à l’époque. Tous les soirs, notamment les soirées des rigoureux hivers, mon père s’adonnait à m’apprendre l’histoire de mon île et de ses multiples cultures, ainsi qu’à me lire ses légendes, sous la forme de contes. Ces aventures fantastiques relataient les péripéties de personnages célèbres pour certaines ou imaginaires pour d’autres, ou encore issues des rumeurs diaboliques de nos ancêtres.

Dans ma cinquième année, toujours avec la même fermeté, ma mère redoublait les sermons, durant des journées entières. Sa satisfaction de mes résultats scolaires me valait des instants de répit de ses remontrances. Il faut dire qu’elle me rappelait souvent, en dépit de mon jeune âge, la chance de pouvoir aller à l’école et le coût que cela induisait sur notre maigre budget. De ce fait, elle me faisait visiter ces quartiers aux reflets des sombres et tristes cités que l’on pouvait voir, dans un passage des manuels scolaires d’histoire du premier cycle secondaire, situé entre la préhistoire et la fin de la monarchie. Malgré mes nombreux cauchemars qui réveillaient toute la famille, chaque nuit, je me positionnais parmi les meilleurs de la classe et j’avais toujours les félicitations de mes institutrices, pour mon comportement exemplaire.

Durant les deux premiers mois de mes cinq ans, les scénarios de mes rêves effrayants et fatigants adoptaient une tournure répétitive. « Était-ce lié à cette ambiance superstitieuse dans l’île ou aux séances nocturnes de lectures que m’accordait mon père, sur les contes et légendes de notre culture îlienne ? Personnellement, je ne pense pas, car mes abominables rêves étaient d’une nature totalement différente. » L’un d’entre eux qui se répétaient, chaque nuit, pendant quinze jours me paraissait presque réel. Sous un soleil brûlant d’un désert de sable rouge volcanique, je courais sous la clarté des rayons du soleil, à en perdre le souffle et le visage empreint de frayeur. Je courais comme si que le diable était à mes trousses, pour échapper à un horrible bonhomme, dont la transpiration ruisselait, dans les sciures de ses rides profondes et sombres. Ses cernes noirs et ses pupilles flamboyantes de malveillance reflétaient ses intentions fourbes et malsaines. Il était revêtu d’une robe chasuble à capuche jaune, parfois orange laquelle flottait, dans le courant d’air produit, par sa mystérieuse célérité surhumaine. Puis, subitement, je tombais dans un vide, tellement profond et obscur, que je m’évanouissais et me réveillais, dans les bras d’un homme plus gentil. Il portait également une aube à capuche, mais verte et me disait d’une intonation attentionnée, en me servant une boisson chaude :

  • « Boit, jeune fille, cette potion te remettra sur pied et tu pourras rejoindre tes parents, ils sont très inquiets de ta disparition, tu sais !

  • Mais, où suis-je ? Demandai-je, d’un ton angoissé et qu’y a-t-il dans ce bol ?

  • Bois ! Il ne nous reste plus beaucoup de temps, avant que tes parents ne disparaissent.

  • Mais, mes parents sont dans leur chambre, ils ne vont pas disparaître, rétorquais-je, d’un ton intimidé. »

Et au-delà de toute attente, je buvais sans réfléchir, en observant cet homme, dont la physionomie m’était clairement visible, par rapport aux autres personnages de mes cauchemars. Son visage carré et symétrique affichait des traits fins du nez et des lèvres, sans la moindre ride, en partant du front aux arcades sourcilières, à la frontière du petit creux de l’arrondi de son menton. Ses joyaux oculaires en amande, bordés d’épais cils et surmontés de deux lignes de sourcils uniformes, étaient d’un bleu si profond que je m’y étais plongée, pour rechercher une lueur de sincérité, dans les propos qu’il me tenait. Ses cheveux noirs et doux esquissaient une coupe mi-longue qui se dégradait de son front court et rectangulaire, à la base inférieure de la nuque. Un trait de séparation du milieu du crâne et des mèches, en balayage de chaque côté de ses profils, agrémentaient son charme. C’était un bel homme, grand, massif et bien proportionné, comme les athlètes que je voyais à la télévision. Il me foudroyait du regard, jusqu’à ce que j’eusse vidé mon bol. Subitement, au milieu de mon rêve, les secousses de ma mère qui s’inquiétait de m’entendre crier chaque nuit me réveillaient.

  • « Christine ! Christine ! Ouvre tes mirettes, ma puce, tu fais un cauchemar, m’avertit-elle, le premier soir de ce scénario réaliste.

  • Qu’est-ce qu’il se passe, mam ? Tu me croyais perdue ? C’est ça ? Tu as eu peur ? Marmonnai-je, d’une intonation séraphique, en me frottant légèrement les yeux. Tu sais, il ne m’a pas kidnappé le méchant, il n’a pas eu le temps, un autre monsieur est venu à mon secours.

  • Ce n’était qu’un rêve, ma puce, un de tes mauvais rêves. Il est deux heures du matin, informa-t-elle, d’une douce et chaleureuse voix.

  • Ah bon ! M’étonnai-je, en observant autour de moi, avant de serrer mon ours polaire en peluche, animal exterminé depuis plus d’un siècle, dans mes bras.

  • Bien, maintenant, tu vas refermer lentement les paupières et te rendormir sagement, guida-t-elle, en glissant délicatement ses longs doigts affinés, dans mes grosses boucles blondes, tu verras, en un clin d’œil, ces bonshommes auront disparu, dès que les petits volets de tes prunelles seront clos. Dans quelques heures, c’est l’école et il faudra être en forme, pour tenir tout le long de cette belle journée et rester concentré. Tendre nuit, ma puce, que notre Morphée te berce dans ses tendres bras. Ferme tes yeux et tu la verras, sous l’apparence d’une femme ou d’un homme, selon tes désirs qui te rassurent. »

Tous les soirs, sur le son de sa douce et chaleureuse voix, j’exécutais ses conseils et me rendormais, avant la fin de son dernier mot. Puis, elle s’assurait que je dormais et quittait discrètement ma chambre. Hormis mes soucis de sommeil, notre quotidien à la maison était une agréable routine. Nous étions une de ces rares familles qui, sans être riches, possédaient un véhicule. C’était le deuxième bien matériel, dans la liste des produits de luxe, qui caractérisait la population plus ou moins aisée. Celle-ci servait également de référence à la classification de toutes les classes sociales, dans les principales nomenclatures administratives datant de l’après-cataclysme du siècle dernier. Tous les week-ends, nous sortions pique-niquer en famille, à la plage ou en montagne. Mes parents adoptèrent un rituel journalier qui marque toute une enfance et qui offre des repères d’une vie stable et équilibrée. Les plus touchants furent les petites phrases philosophiques du matin qui constituaient des leçons du jour et les petits coups de klaxons, mais discrets de ma mère, lorsqu’elle s’éloignait de notre demeure, en nous laissant seuls, mon père et moi. Elle cornait doucement à trois reprises, jusqu’au seuil du portail et nous étions les seuls à les entendre. Ce rite phonique de la voiture symbolisait un message de ma maman qui, en quelques mots, voulait nous rappeler qu’elle nous gardait auprès d’elle et dans son cœur, même avec les kilomètres qui nous éloigneraient, au fur et à mesure qu’elle roulerait. Mon père approuva tous ses petits gestes d’attentions et les imitait également. Ma mère m’éduquait dans la foi chrétienne et m’inculquait les responsabilités et le devoir d’un bon citoyen français. Malgré l’abondance d’une population très superstitieuse, la sorcellerie et ce qui s’y attachait ne faisaient pas partie de nos convictions. Elle refusait avec mépris les recommandations de ses amis, auprès de qui elle se confiait longuement, lors des réceptions données à notre domicile et qui l’incitaient à m’emmener consulter une voyante, pour interpréter mes rêves. Un jour, son scepticisme assumé en matière d’occultisme provoqua une altercation, avec une pythie. Cette étrange femme nous arrêta derrière un ancien hôpital des enfants, pour nous prédire un inévitable danger. C’était un jeudi matin d’une journée de vacances. Nous nous rendions au marché de la Source. C’est un quartier situé en amont des rampes de Saint-François et de la montagne du Brûlé, lequel était devenu extrêmement modeste et très vétuste, par l’usure du temps et les cataclysmes climatiques. Il y régnait un parfum de pauvreté déchirant, pour toute âme sensible et y faire la manche, pour survivre, était devenu le métier le plus valorisant du secteur. Même le Moyen Âge semblait plus agréable à y vivre. Certains coins étaient d’ailleurs inaccessibles, voire dangereux pour sa santé et sa vie. À tel point que ni les forces de l’ordre ni les secouristes ne s’y rendaient plus, comme dans tous les autres quartiers de l’île où des crimes de grande ampleur, des folies psychiatriques et des rumeurs de cannibalismes sévissaient, à l’instar de ceux qui plongeaient la Métropole, dans la consternation d’une découverte et reconnaissance tardives de l’ampleur des fléaux morbides et macabres humains. Il faut dire que toutes les autorités politiques se voilaient la face, néanmoins par manque de moyens et de possibilités d’intervention. Ma mère m’emmenait, de temps en temps, aux frontières de ces lieux, pour m’apprendre à relativiser mes maux, d’une petite fille capricieuse qu’elle qualifiait ma précocité. Mais cette escapade-là se faisait également pour secourir, en vives et vêtements, une maman qui vivait à l’abri d’un immense tronc de Tamarins, avec ses deux enfants, avant de nous réapprovisionner en légumes plus ou moins frais, de quelques agriculteurs. Ces derniers résistaient péniblement, dans une zone où quiconque pouvait encore s’approcher des civils désœuvrés et des insalubrités, sans s’exposer à trop de risques et de dangers humains, viraux, bactériologiques et surtout mortels. Au détour d’un lotissement usé et délabré, une vieille femme me fustigea de ses yeux embrasés de machiavélisme, à mon insu, et dressa sa main gauche face à ma mère, pour la sommer de s’arrêter. Marchant péniblement au rythme rapide de cette dernière, mon élan prit fin, à un pas d’intervalle du sien, l’attention braquée sur les pieds de celle qui nous faisait obstacle. Une épaisse étoffe grisée par la salissure et retenue par un cordage lui recouvrait les pieds, en guise de chaussures. Au moment où je levais la tête, je découvris un visage apparenté à une sorcière des contes de Grimm. Transie d’effroi, je reculai d’un pas et me blottis contre ma mère.

  • « Il faut surveiller votre fille, ses rêves sont des mauvais présages, la prophétie se réalise en ce moment où je vous parle. Tremblez ! Car l’apocalypse totale est proche, elle sera extrêmement terrible, mes enfants ! Proféra-t-elle, d’une voix d’outre-tombe et éreintée. Extrêmement terrifiant…

  • Dégage de là, vieille folle ! Maugréa ma maman, en la bousculant violemment. »

C’était la première fois que je la voyais dans une telle colère. J’avais sept ans et demi et cette centenaire qui, sous les feux de mes projecteurs, n’était qu’une sale pythie ancestrale et lugubre éveilla en moi, une immense crainte, de l’ensemble des superstitions qui envahissaient notre quotidien. Ma mère me prit par la main et nous nous éloignâmes de cette créature cauchemardesque, sans nous retourner.

  • « Qu’est-ce qu’elle a raconté et comment fait-elle pour être au courant de mes rêves ? Réclamai-je, d’un air inquiet, tout en peinant pour la suivre, dans son élan de lionne en furie.

  • Elle ne sait rien de tes rêves, ma puce, elle a juste mentionné que tu en faisais, répliqua-t-elle, le visage empourpré de rage contenue.

  • Hein !!! Dans ce cas-là, comment fait-elle pour savoir que j’en fais ? Reformulai-je, le nez et les sourcils plissés d’étonnement.

  • Elle doit sûrement connaître une de nos voisines de bancs, à la messe du dimanche, surtout celles qui commèrent jour et nuit, sans s’en lasser, comme une pie, justifia-t-elle, d’un ton convaincu. Et son histoire d’apocalypse vient du journal de 20 heures. En ce moment même, un violent cyclone est en train de balayer les départements de la métropole.

  • Ah ! Fis-je, d’un air déconcerté. »

À la suite de notre rencontre explosive, avec cette prophétesse maléfique, je réalisai qu’à chaque situation, ma mère me rassurait avec des explications très rationnelles. J’étais en admiration, devant son audace et sa dextérité. Relativiser l’irrationnel et rechercher des causes scientifiques et cartésiennes, à tout phénomène et toute situation, lesquels défient la raison, furent le premier tournant de mon éducation de jeune fille moderne et avertie.





Chap. IV

Les Coulisses Du Cauchemar.




Comme je vous disais, ma mère était une grande adepte du relativisme. Cette qualité m’impressionnait et me fascinait à la fois. De ce fait, je devins une jeune fille rangée et avide de ses conseils. Néanmoins, une semaine avant le Noël de ma huitième année, en 2224, elle ne put nullement expliquer les phénomènes paranormaux qui se produisirent, dans ma vie et qui débouchèrent sur une crise de convulsions. Ce jour-là, elle avait invité une de ses copines d’origine écossaise, laquelle avait épousé un Londonien, à venir prendre le thé en famille, à la maison. Elle se prénommait Bridget et son mari Paul. C’était une relation de longue date. Leur unique petite fille, Shirley, était devenue ma meilleure amie de jeux. Assise sur le plancher de ma chambre, par une rare et extrême chaleur des après-midis d’un mois de décembre, je m’amusais à monter les pièces d’un puzzle en 3 D, de la pyramide de Kheops, pendant que Shirley jouait à la poupée. C’était une petite rousse de mon âge, plutôt jolie et gentille. La tranquillité et le calme de nos activités reflétaient une image de deux poupées de porcelaine. Brutalement et sans raison apparente, Shirley lança un grand coup de pied, sur l’ensemble de mon œuvre. Elle le répartit, dans toute la pièce et alla se rasseoir, hautainement. Les mâchoires crispées par la colère, je retins une petite réplique irritée, sans pour autant réussir à contenir l’ascension de ma haine. Astucieusement, je la refoulai par une pensée destructrice, dans laquelle je souhaitais, avec ardeur, voir mon sommier propulser Shirley au plafond, d’où elle aurait ensuite chuté, sur le plancher de ma chambre. Soudain, le lit se souleva de dix centimètres du plancher et resta suspendu dans le vide, durant quelques trentaines de secondes. Paniquée, Shirley bondit sur le sol, avant que celui-ci ne s’y reposât, elle se précipita vers le salon où nos parents respectifs savouraient leur thé, dans une ambiance joviale et sereine. Essoufflée par sa course, elle s’appuya sur ses genoux, pour reprendre son souffle. Puis, elle sauta sur celles de sa mère qui bavardait, joyeusement, avec la mienne et s’époumona, d’une voix grandiose et alerte :

  • « Maman ! Maman ! Le lit dans la chambre, il s’envole !

  • Calme-toi Shirley ! Calme-toi ! Je t’en prie ! Ordonna sa mère, d’une intonation précipitée et autoritaire, avec un accent anglophone. Tu te calmes, ensuite, tu nous raconteras ce qui se passe ! »

Shirley était frappée de stupeur. Une sueur glacée perlait sur son front, avant de se confondre avec les flots de ses larmes qui s’égouttaient à la frontière de son menton, sur la belle robe en lin de sa maman. D’un souffle ralenti et entrecoupé de spasmes de sanglots, elle balbutia :

  • « J’é… j’é… tais assise su… sur le lit et… et… il s’est soulevé comme… comme s’il voulait s’envoler.

  • Qu’est-ce que tu débites, ma fille ? Les lits ne bougent que, dans les feuilletons télévisés fantastiques ou dans tes dessins animés de sorcières, réfuta sa mère, d’un air scandalisé.

  • Voyons, Bridget, ne soit pas aussi sévère avec Shirley, reprocha Paul, d’une voix britannique. À moins que vous n’ayez un super lit relaxant et de confort électrique ou électronique, dans la chambre de votre petite, se renseigna-t-il, auprès de la mienne.

  • Tu sais, Paul, si je pouvais vraiment me le permettre, je le mettrais d’abord dans la nôtre, pour soulager mes courbatures de certaines rudes journées de labeurs et d’anxiétés, invoqua-t-elle. Sans oublier mes périodes de crise fibromyalgique.

  • C’est bien ce que je pensais, vu la rareté de ces produits et son prix exorbitant, peu de gens en sont équipés, ajouta Bridget. Alors Darling, faut-il ou ne faut-il pas sévir contre les élucubrations de ta fille ?

  • Le mieux serait de le vérifier par nous-mêmes, suscita mon père, en se levant. Après vous, invita-t-il, à Bridget et à Paul. »

Intrigués, mes parents accompagnés de leurs invités rappliquèrent, aussitôt, dans ma chambre.

  • « Que s’est-il passé, Christine, dans cette pièce ? Inspecta ma mère, les yeux allumés d’incompréhension. Shirley prétend que ton lit s’envole, tu ne lui aurais pas fait une farce par hasard !

  • Comment voulez-vous qu’une gamine puisse soulever un lit de cette taille ? Contesta Bridget, d’un air indigné.

  • Laisse agir sa famille, Darling, pria Paul, d’une intonation embarrassée.

  • Je n’ai rien vu et rien entendu, affirmai-je, d’un ton ingénu. »

Puis, hautainement, je me retournai vers Shirley et ajoutai pour me venger de sa méchanceté :

  • « elle a sûrement des visions dues à la chaleur et à la pollution de l’air, il faut lui faire respirer de l’air sain et frais des montagnes. »

Un sourire satisfait effleura mes lèvres. Mes parents me lancèrent des regards foudroyants de mécontentements. Puis mon père m’échangea des réflexions teintées d’amertume.

  • « Ne sois pas si méchante ! Nous réfléchirons à une explication sur ton lit volant, plus tard. Pour le moment, j’exige que tu présentes tes excuses à Shirley ! »

À peine eus-je eu le temps de faire mon mea-culpa que ma mère précisa :

  • « Il ne faut jamais dire aux autres ce qu’on ne souhaite pas entendre soi-même, surtout lorsque nos paroles reflètent une injustice, tes médisances se retourneront contre toi, tôt ou tard, si tu es partiale dans ton jugement. »

Ensuite, sur son invitation, ils regagnèrent le salon pour finir leur discussion et déguster les délicieux biscuits qu’elle avait délicatement préparés, pour ses hôtes. Shirley décida de les suivre, ce qui n’était pas pour me déplaire. Un quart d’heure après avoir reconstruit mon puzzle, toute seule, dans ma chambre, je vis trois petits points lumineux qui tournoyaient devant moi. Je me levai pour essayer de les attraper, mais plus j’avançai, plus je titubai comme chancelle un enfant, dans l’ivresse de ses pirouettes prolongées. Je tentai de hurler au secours. Malheureusement, ma voix était paralysée. Tout à coup, le noir complet envahit ma conscience, tel un ciel ténébreux de gigantesques cataclysmes climatiques, jusqu’à m’en évanouir. D’après ma mère qui était venue me chercher, pour déguster une part de sa tarte à la fraise, mon corps traduisait les symptômes, d’une attaque de tétanie. Pourtant, de ma naissance à ce jour, rien ne laissait présager un pareil accident. Nous vivions dans un contexte familial harmonieux et nous cultivions la forme et la santé. Ce qui nous évitait une terrible crise financière privée, à une ampleur dévastatrice, étant donné la disparition de tous les services publics de notre pays, depuis les calamités liées aux bouleversements climatiques, notamment les remboursements de la Sécurité sociale. Par contre, pour ce qui était de la recrudescence des maladies infectieuses et bactériologiques, chaque région de France s’équipa d’une nouvelle infrastructure hospitalière et d’un service spécialisé, orienté vers la gestion de toutes les nouvelles et anciennes infections. Le Conseil Régional de l’île qui s’était doté d’un petit centre hospitalier universitaire au Moufia aménagea entièrement ses locaux, en une véritable cité de soins, de formations, de recherche et de santé, le CHU d’Henri Azéma. Malheureusement, l’établissement, en fonction de la croissance périodique des apparitions des maladies anciennes ou nouvelles, souffrait terriblement d’un manque incontestable d’effectifs, de moyens financiers et d’une croissance de la violence, au même titre que les établissements pionniers. En conséquence, les frais des soins se répercutaient à 99 %, sur les malades et les investisseurs privés, de tous secteurs, dont le nombre décroissait, terriblement, d’année en année.

Durant un mois, j’y séjournais sous la directive de deux diagnostics controversés, entre la crise d’épilepsie et de spasmophilie. Malheureusement, personne ne m’en avait informé ni apporté des explications. Au premier jour de la dernière semaine, après une auscultation par un troisième spécialiste, la réflexion similaire à celle que je fis à Shirley, d’une insolation accompagnée d’une bouffée de pollution me revint en pleine face. « Si cela ne tient qu’à des sornettes, je vais pouvoir rentrer chez moi, cogitai-je, pendant l’auscultation de ce neurologue. » Dans mon raisonnement d’enfant, sachant diagnostiquer cette maladie, par une première expérience à l’appui et rejetant le corps médical, à cause de leur manque de précision et d’attention, au sujet de mon avidité, j’étais convaincue de pouvoir assumer leur fonction et particulièrement en colère de cette perte de temps et contre le trou, dans notre budget familial que l’on nous imposait, à des fins de soins. Ce qui n’inquiétait guère ma mère, dont la seule frayeur était de perdre son enfant unique. Un peu plus tard dans la soirée, j’effectuai un bref et mystérieux passage, en dehors de l’enceinte hospitalière, dans un lieu qui ne ressemblait pas à un espace médicalisé. Ce cadre s’apparentait à un film ou une littérature de science-fiction moderne, dont quelques-uns me passionnaient. Dans l’espace d’un néant ténébreux se tenait un gigantesque tétraèdre, formé par des faisceaux lumineux jaunes et orange, dont les sublimes couleurs translucides s’entremêlaient, sans se confondre. En son milieu, il y avait un lit médical, sur lequel j’étais confortablement allongée, dans un état semi-conscient. Au bout d’un certain laps de temps, en observant bien autour de moi et en écoutant leurs discours, je m’aperçus de la présence de personnels soignants. Néanmoins, je discernai difficilement leur visage, ainsi que la provenance de ces luminances colorées. Par contre, le son m’était perceptible.

  • « Son pou est normal, son rythme cardiaque aussi, où en êtes-vous, avec les analyses et les radios ? Examina une voix, plutôt masculine.

  • Tout va bien de ce côté-là aussi, indiqua ce qui me paraissait être une femme.

  • Il va falloir la poloniser, décida la première personne. Nous perdons notre temps, avec ces actes médicaux humains.

  • Non, il serait préférable de la spolurer, dans un premier temps, s’opposa un homme, d’un ton autoritaire… »

« La poloniser ! La spolurer dans un premier temps ! » Je m’interrogeai en pensée sur ce qu’ils allaient me faire, mais ignorant la signification de ces mots, je n’eus pas d’autre alternative que d’attendre l’instant où ils allaient passer à l’action. À mon grand désespoir, lorsque leurs ombres se penchèrent au-dessus de mon lit, je plongeai dans un coma profond.

Le lendemain, je me réveillai par les cris d’une infirmière audacieuse. C’était une grande dame avec une forte corpulence. Son intonation qui se rapprochait de celle d’une cantatrice d’opéra répondait à son physique. Ses cheveux châtain clair et mi-long laissaient entrevoir un beau visage et une chaleureuse gaieté, sur ses lèvres qui exprimaient l’opposé de son élocution d’apparence sévère. Elle était celle que je voyais souvent et surtout, la seule d’une nature franche et directe, néanmoins dépourvue de méchanceté. Dans la première matinée de mon hospitalisation, elle était rentrée dans ma chambre, pour se présenter. Ensuite, elle m’annonça qu’elle était mon infirmière attitrée, pendant mon séjour, et relayée, une semaine sur deux, par une autre collègue. Liliane était son prénom. Lorsqu’elle était du matin, même endormie, je la reconnaissais à sa voix pétillante et à sa méthode de réveil, dès qu’elle franchissait le seuil de la porte.

  • « Debout, debout, jeune et charmante demoiselle ! Il fait jour depuis cinq bonnes heures, criait-elle, quotidiennement, avant de me demander de lui chanter une mélodie quelconque. »

Cependant, ce jour-là, au lieu de me réclamer une chanson, elle modifia son rituel :

  • « vous avez de la visite, jolie demoiselle et princesse, annonça celle-ci, d’une inflexion resplendissante. »

C’était ma mère. Elle était seule, car mon père était en voyage d’affaires. Elle entra et Liliane s’apprêtait à partir.

  • « S’il vous plaît, infirmière, vous pouvez rester encore un petit peu, sollicitai-je, d’un ton suppliant.

  • Que se passe-t-il ? Vous vous sentez mal ? S’inquiéta-t-elle, les sourcils plissés d’attention.

  • Pas vraiment, rassurez-vous, avouai-je, d’un ton et d’un air embarrassé, mais… voilà, hier soir, il s’est passé quelque chose de bizarre et je tiens à le raconter à ma mère, en votre présence. »

Je leur présentai le récit de mon aventure, avec précision, dans l’ordre chronologique des actions et des paroles prononcées, ainsi que mes impressions au réveil qui s’apparentaient à un retour, d’un long voyage, au fin fond du monde. Elles m’affirmèrent, avec conviction, qu’il s’agissait d’un mauvais rêve.

  • « Que signifient les verbes poloniser et spolurer ? C’est ce qu’ils m’ont infligé ! Insistai-je, en conséquence de leur incrédulité.

  • Ces mots n’ont aucun sens, je le vérifierais dans le dictionnaire, une fois à la maison, si cela peut te convaincre, confia ma mère, d’un naturel contrôlé, pour camoufler son embarras.

  • Inutile d’attendre d’être chez vous, nous disposons d’une grande bibliothèque, dans l’enceinte hospitalière, nous allons être fixées tout de suite, promulgua l’infirmière, d’une inflexion affable. »

Au bout d’un quart d’heure, elle revint avec un tome encyclopédique médical et un dictionnaire. Elle confirma le discours de ma mère, en ouvrant le livre aux pages correspondant aux syllabes « polo », puis à « spolu ». En effet, ces verbes n’existaient ni dans l’un ni dans l’autre. Par contre, l’existence de toutes mes nuits cauchemardesques demeurait une réalité incontestée et vérifiable. D’autant plus qu’à l’âge de six ans, les scènes n’avaient pas arboré un aspect répétitif à long terme, comme ceux qui se produisaient encore ces derniers jours. Elles se différenciaient sur le scénario, chaque semaine, en suivant un schéma évolutif identique et dans des contextes différents. Mais, depuis environ un mois, à chacune d’entre elles, je vivais sous la surveillance continue d’individus, plutôt grands et costauds derrière leurs airs parfois, antipathiques et, par moments, sympathiques. Ils étaient encore revêtus d’une aube à capuche, de couleurs différentes, à chacun de mes cauchemars. Parfois en jaune, d’autres en vert, mais aussi en orange, ils épiaient, sournoisement, tous mes faits et gestes, m’empêchant dans certaines circonstances d’atteindre mon but et certains jours, contribuant à ma réussite, lors des situations d’un réalisme à s’y tromper au réveil. Cependant, cette fois, ma conviction d’avoir dépassé le stade du simple cauchemar était profondément ancrée et inébranlable, dans ma petite tête. Malgré le grand mur de glace que me dressèrent ma mère et l’infirmière qui ne croyaient pas à mon histoire et ne comprenaient ni les raisons, ni le sens, ni le but de tous ces soi-disant mauvais rêves, je ne cédai pas à leur influence à créditer leur justification subjective et arbitraire, à propos de cet incident.

  • « J’en parlerais au médecin, informa Liliane, pour m’apaiser, en quittant la chambre.

  • Je ne pense pas qu’il faille déranger le médecin pour si peu, refusa ma mère, d’une voix contrariée, elle a une imagination débordante ou elle s’est angoissée, à cause d’un rêve d’enlèvement. Elle en a cauchemardé un à quatre ans.

  • Oh vous savez, Madame BOYER, je ne voudrais pas vous faire peur, toutefois, il ne faut pas jouer avec tout symptôme neurologique qui sort de la normale, étant donné le nombre de bactéries préhistoriques qui ont renouvelé leur présence, depuis la fonte du permagel et les déforestations néfastes et clandestines sur notre pauvre planète. Sans omettre, bien évidemment, celles qui se sont créées, en même temps que plusieurs virus foudroyants, à cause des derniers plus grands cataclysmes climatologiques, on ne sait jamais, votre fille pourrait les avoir contractées. En plus, sans avis formel médical, nous ne pourrons pas intervenir à temps. Quelques-uns d’entre eux réduisent abominablement les patients à un état végétatif, quand ils n’en meurent pas.

  • Vus sous cet angle, effectivement, nous sommes en danger, en permanence, conçut ma mère, mais regardez-la, vous donne-t-elle l’impression d’une malade atteinte d’une pathologie neurologique ?

  • Vous avez en grande partie raison, j’ai eu le temps de la connaître, votre fille, c’est une sacrée chipie, ne vous faites pas d’inquiétudes pour sa santé, souffla-t-elle, d’une voix affable. Allez, je vous laisse entre mère et fille, je vais répondre aux besoins et impatiences des autres patients. À plus tard !

  • À bientôt, synchronisa ma mère, d’un air soulagé. »

Celle-ci me réconforta durant une heure. Nous nous baladâmes dans les longs couloirs de l’hôpital, jusqu’à la bibliothèque, d’où je pris un livre pour enfant. Puis, elle me raccompagna à ma chambre, avant de repartir. Sereinement, j’oubliais les tristes et malencontreux contretemps d’auparavant. Malheureusement, l’infirmière ne dérogea pas à la règle. Le médecin prit connaissance de cet incident médical qu’il qualifia de perturbation neurologique ou psychiatrique, de sources non bactériennes ou virales, ni chimiologiques. Quelques jours plus tard, il inocula à ma mère qui accepta, sans hésitation, une consultation spécialisée pour les jeunes enfants et obtint un rendez-vous chez un pédopsychiatre renommé. Leur obsession de vouloir me rassurer provoqua ma colère et mon mutisme. Je désirais tout simplement être crue. Tous ces atroces rêves qui, au début, réveillaient quotidiennement mes parents, à la longue, ne me terrifiaient plus. Ma familiarisation avec ces personnages rendait mes nuits plus calmes. C’était certainement une des raisons pour lesquelles mes émotions, relatives à cette expérience surnaturelle, n’étaient ni de la peur ni de l’angoisse. Alors, à mon avis, la prescription du spécialiste qui m’ordonnait un exil en bord de mer pour me ménager n’était absolument pas justifiée. D’ailleurs, le jour de cet entretien médical se traduisit par une épreuve irréaliste et épouvantable. Nous patientions dans une petite salle d’attente du centre médical de pédopsychiatres de la capitale, lorsque le médecin ouvrit la porte.

  • « Madame BOYER, c’est à vous !

  • Maman ! C’est lui ! M’exclamai-je, en bondissant de ma chaise, les yeux ouverts de frayeurs et en me dirigeant vers la sortie.

  • C’est lui qui, quoi ? Rechercha ma mère, les sourcils plissés d’étonnement. Reviens par ici et calme-toi !

  • C’est lui le monsieur à la robe orange, dénonçai-je, d’un ton désinvolte. »

Tout en me jetant un regard machiavélique, cet homme enjôla ma mère, avec une proposition irréversible.

  • « Cette fillette m’a l’air bien agitée, laissons-la dans la salle d’attente ! Ma secrétaire s’en occupera ! »

L’horreur s’était produite, mes cauchemars avaient franchi la frontière de l’irréel, du moins celui de l’individu à la robe chasuble orange qui me traquait à chaque sortie d’école et qui hantait mes nuits, depuis plus d’un mois. Son diagnostic était une fois de plus un manque d’air sain, la fatigue et la chaleur que j’endurais péniblement. J’en fus extrêmement révoltée, néanmoins, contre personne. D’autant plus que ma mère avait omis intentionnellement de lui rapporter les propos de mon amie Shirley, avant ma convulsion, afin d’éviter la moindre complication de la situation qui, entre les mains d’un neuropsychiatre de notre époque, aurait pris des tournures d’une maladie génétique mentale et par déduction d’une origine familiale, après avoir écarté les agents infectieux bactériologiques ou cancérigènes. Sans omettre qu’en cette période de l’histoire du monde, beaucoup de foyers, notamment les plus démunis financièrement et intellectuellement, mais sain d’esprit, étaient victimes des dérives de cette spécialité médicale, pour laquelle, durant des siècles, les autorités politiques du monde avaient laissé s’implanter, cette toute nouvelle discipline scientifique de rapporter l’ensemble des pathologies physiques, psychiatriques et psychologiques uniquement aux gènes. Alors que la recrudescence des démences psychiques était liée à une croissance des maladies neurologiques, en rapport avec les bouleversements climatiques des deux derniers siècles, et était renforcée par leur mode de vie sectaire et l’absence d’hygiène, d’éducation, d’instruction et de principes moraux qui régissent toute société. Leur finalité sociale mondiale reposait sur la régulation des potentialités intellectuelles des citoyens et la réduction des probabilités d’un mouvement de révolte, des défavorisés, des oubliés et des abandonnés de notre monde actuel. Le traitement médical de ce spécialiste consistait en du repos, dans un centre pour enfants, dans l’Ouest de l’île. Le soir même, pour donner suite à mon agression présumée envers Shirley, mes parents m’infligèrent ma première punition, par une privation de sortie de trente jours. Mon père rentrait d’un séminaire qui avait duré presque deux mois. Ma mère avait volontairement négligé d’informer à celui-ci qui, d’habitude, était plus conciliant, de ma conviction d’avoir été enlevée à l’hôpital. En conséquence, sa sentence inéquitable et dure me transperça terriblement le cœur. Je fus privée non seulement de sortie, mais aussi de toute invitation, dans le mois qui suivrait l’échéance de la première privation, si je n’étais pas sage, d’ici la fin de la première sanction. Lors-qu’une vive intention d’aviser mon papa, sur ce fait qu’il ignorait entièrement, effleura mes pensées, ma maman perçut mon objectif et me mit au défi de lui dévoiler un seul mot sur cette affaire, en me menaçant d’être non seulement privée de sortie, et également de tous les futurs goûters d’anniversaire de mon existence entière. « Waouh ! Comment a-t-elle fait pour tout deviner ? Ma mère est une pythie, fantasmai-je, sur l’instant. Il va falloir que je cache mes propres pensées. Mais est-ce possible ? D’ailleurs, elle n’a pas complètement tort, je vais cesser de raconter mes aventures qui sortent de l’ordinaire du commun des mortels, aux communs des mortels. Je vais cultiver mon jardin secret, dans l’intimité de ma chambre et l’étudier quand je serai plus grande et autonome. » Par contre, j’ignorais les raisons pour lesquelles mon père décréta l’inutilité de m’envoyer en séjour, au bord de la mer. Ce repos était en réalité une maison de psychiatrie infantile, située dans les hauteurs de l’ouest de l’île et comptait parmi leurs spécialistes, un parapsychologue renommé. Il profita également du dîner, pour revenir sur l’incident avec Shirley. Cependant, par crainte de l’incrédulité de mes parents, je conservais précieusement mon mutisme, les yeux cramoisis et noyés sous le flot de mes larmes.

  • « Je sais que nous ne pourrions jamais savoir ce qui s’est réellement passé avec Shirley, toutefois, je ne tolérerai plus une arrogance comme la tienne, envers nos invités, j’ai éduqué une magnifique petite fille intelligente et non pas un monstre sans cœur, admonesta-t-il, le visage assombri, par une immense déception, me comprends-tu ?

  • Oui, signifiai-je, par une inclinaison de la tête, d’un air contrit.

  • En attendant, sèche tes larmes, recommanda-t-il, en me tendant un mouchoir. »

Timidement, j’acceptai sa suggestion et m’essuyai délicatement les mirettes et les joues, pendant qu’il finalisait sa remontrance.

  • « Pour te faire pardonner, je te propose de t’accompagner dans deux activités qui occuperont une partie de ton temps et de ta conscience et qui t’éviteront de faire ou de dire des sottises. Tu as le choix entre une collection de timbres ou de pierres. Que choisis-tu ?

  • Euh ! Hésitai-je, le regard penaud, je… je collectionnerai des pierres. Puis-je m’en aller maintenant ? Implorai-je, d’une voix émue.

  • Uniquement lorsque tu auras vidé le contenu de ton assiette, observa ma mère, d’un ton ferme. »

Profondément attristée, je gagnai ma chambre après avoir mangé. En deux semaines, avec les livres et les documents que m’avait fournis mon paternel, en référence à sa proposition de punition, je devins une experte attitrée en géologie minérale. Je comptabilisais une cinquantaine de variétés de magnifiques pierres, dont deux précieuses, que certains de ses meilleurs amis avaient ramenées de leur expédition africaine et australienne. Consciencieuse et fière de ma nouvelle passion, je les conservai, prudemment, dans un coffre-fort au fond de mon placard.







Chap. V

L’espion De La République.




Passée mon hospitalisation, avec ce mystère d’enlèvement non résolu et cette visite effroyable, chez le pédopsychiatre, une évolution négative de ma personnalité et de mes facultés d’apprentissage apparut progressivement, au fil des mois. Je m’enfonçais dans une attitude prouvant un manque de confiance en soi et ma maturité régressait. Mes résultats scolaires baissaient d’un bulletin à l’autre. Cette passion des pierres, censée me distraire, ne m’intéressait plus. La discipline n’étant plus mon point fort, je cultivais les blâmes. J’étais déphasée et mes problèmes relationnels se succédaient. Je devenais une solitaire, une incomprise, une que les autres préféraient tenir, tristement, à l’écart. De jour en jour, ce cercle fatal m’emprisonnait. De plus, convaincue de l’inexistence d’une oreille attentive ni d’une main tendue, je ne me confiais à personne. Puis, au-delà de toute espérance, dans l’année de mes neuf ans, lors d’une visite médicale, le corps d’enseignants de mon établissement scolaire et tous les spécialistes de l’enfance de l’ASE, l’Aide Sociale à l’Enfance, me décelèrent un quotient intellectuel élevé. Selon mes résultats aux tests d’Howard Gardner, en possession d’une large gamme d’intelligences qui se complétaient avec d’autres théories scientifiques et psychologiques, mes capacités intellectuelles et physiques jugées uniques et hors-norme s’avéraient, malheureusement, la cause principale de mon échec scolaire. Celui-ci se caractérisait par l’ennui que j’éprouvai en classe et dans mes activités sportives, dont la source psychologique provenait de mes facilités d’aborder le niveau et les connaissances exigés en Ce2. La rentrée suivante, après un test d’évaluation des acquis instructifs et celle des aptitudes psychomotrices, cognitives et psychologiques, ils décidèrent, avec l’accord de mes parents, de m’envoyer directement au collège de Bourbon. Ils m’épargnèrent ainsi les deux dernières années du primaire. Cet établissement qui avait été une des premières écoles publiques de la ville fut entièrement informatisé et redevint payant. Son faible effectif reflétait la pauvreté des citoyens. Il n’y avait plus qu’une classe d’à peine une dizaine d’élèves, par niveau. Les professeurs n’y exerçaient qu’un rôle d’accompagnement et d’orientation des collégiens, dans chaque matière enseignée, avec une évaluation individuelle, en moyenne, tous les quinze jours et où les mesures disciplinaires internes et externes, à chacun des cours, étaient établies et contrôlées, par tous les intervenants de l’établissement.

Quelques mois s’écoulèrent. Au sommet de mes dix ans, cette période se révéla étrange. Toutes les nuits, j’étais réveillée par une sensation d’être appelée par quelqu’un. « Christie ! Christie ! Soufflait cette voix lugubre, en négligeant le n de mon prénom. » La peur me tenaillait le ventre, mais ma cupidité d’élucider ce mystère l’emportait. Après vérification dans l’ensemble des pièces de notre maison, je ne trouvais personne d’autre que mes parents, endormis profondément dans leur chambre. Ma mère avait investi dans un nouveau lit mezzanine qu’elle avait accosté à la fenêtre, pour m’offrir un gain de place, dans mon espace de jeux. Un soir, alors que je sortais d’un cauchemar où ma couchette se mettait à suivre le mouvement de la rotation de la Terre, en m’entraînant dans sa ronde, un homme se tenait derrière la fenêtre. Je poussais un cri strident qui, bizarrement, ne réveilla pas mes parents.

  • « Aaaaah !

  • Poin hurlé pesticide, exigea cet inconnu, d’un ton hargneux, poin t’antandre et poin longtan pour dire. (Inutile de hurler petite peste, personne ne t’entendra et je n’en ai pas pour longtemps.)

  • Mais qui êtes-vous ?

  • Orèlles sales sapristi ! Tempêta-t-il, les yeux torves et terrifiants. Gueule fermé ! Gueule fermé ! (Mais elle est sourde ma parole ! Tais-toi ! Tais-toi !) »

Cet énergumène était d’une laideur répugnante et barbare. Ses cheveux en brosse et crasseux ne laissaient même plus paraître sa couleur d’origine. Au-dessus de son nez crochu, deux projecteurs oculaires globuleux me fixaient droit dans l’iris et pétillaient de malveillance et d’un désir de m’hypnotiser. Ses dents jaunes et cariées se comptaient sur les doigts d’une main. Cet hominidé ne m’effrayait pas réellement. Pourtant, bien au-delà des piteux états des sans domicile fixe et des pauvres des bidonvilles et tentes d’infortune, dans certains quartiers que tout le monde évitait, il semblait sortir directement de mon manuel scolaire d’histoire, au chapitre de l’évolution de l’homme. Ses vêtements sales dégageaient une odeur répugnante. Malgré ses avertissements, je le menaçai d’un ton agressif, en serrant mon ours en peluche, dans mes bras :

  • « Ne me regardez pas comme ça et allez-vous-en ou j’appelle mes parents ! Répéta-t-il, d’un accent caverneux et d’un mimétisme moqueur.

  • Vous croyez peut-être me faire peur ! Provoquai-je, d’une voix téméraire. Vous ne connaissez pas mon père, il…

  • Ti vermifuge bien écouté ! Menaça-t-il, en me coupant la parole, toi… (Écoute-moi bien, petit vermifuge ! Toi…) »

Soudain, il interrompit la conversation. Un son mélodieux apparenté à la symphonie des grillons du Var, pendant les soirées chaudes de l’été, retentit au fin fond de la nuit. « Thoot ! Thoot ! Thoot ! Thoot ! Entamait cette voix qui me semblait humaine. » Incommodé par le bruit, ce forcené observait autour de lui, d’un œil intrigué, avant de revenir sur ses propos d’intimidation.

  • « Écouté, gueule fermé, là, imposa-t-il, en pointant son index vers ma face… (Maintenant, tu vas m’écouter et te taire.)

  • Non seulement il put, mais en plus, il est vulgaire…

  • Fermé Gueule, resté là ! Cria-t-il, d’un air extrêmement menaçant, île pa kitée même si, ou moi persécuté peti, persécuté gran, persécuté vieu, persécuté mor, toi poin dérangé chose nous avouar, nous voulouar, toi laissé arrivé chose !!! S’emporta-t-il, d’un ton hargneux. Toi, étoile brille, tout peti là, mé gran, moi surveillé et si moi vouar, moi persécuté. Et, et… Balbutia-t-il, d’un air apeuré par cette litanie mystérieuse et persistante qui se rapprochait. (Écoute sans la ramener cette fois, tu ne quitteras ton île sous aucun prétexte ou ma persécution t’accompagnera, pour le reste de tes jours et même après ta mort, tu n’as pas à déranger l’ordre des choses, ce qui doit arriver arrivera ! Tu as de la chance de n’être qu’une gamine aujourd’hui, mais ma sentence n’est que partie remise. Et… et…) »

Puis, sans achever ses paroles de mises en garde, il s’enfuit dans l’obscurité. Agitée par cette malencontreuse rencontre, je veillais jusqu’à l’aube. Ce cri strident, au fin fond de la nuit, me rappelait la légende d’une esclave marronne°, au nom de Granmèrkal,* laquelle mon père m’avait contée, un soir de pleine lune, afin d’assurer les options mystères et frissons de son talent de conteur. À travers ma fenêtre ouverte, j’observai le moindre mouvement, dans l’espoir de rencontrer celle qui avait éveillé les craintes de cet hominien des ténèbres. « Thoot ! Thoot ! Thoot ! Continuait ce cri, sans que j’aperçusse la personne qui l’émettait. » Dès la première heure de la matinée, je me rendormis trente minutes, avant le réveil ponctuel de ma mère qui entra dans ma chambre, pour me sortir du lit. Au petit déjeuner, je n’osais avertir mes parents de l’incident de la veille, par appréhension d’être incomprise, démentie et dénigrée. Je n’avais aucune idée du sens de ses menaces. Par contre, au collège, je divulguai avec excitation, sous les yeux terrorisés de mes camarades, cette troublante rencontre, après les avoir épatés, avec mon rêve effrayant, la semaine précédente. En une matinée, toute l’école en était informée. À mon grand plaisir, ma cote auprès des inconditionnels de l’amitié atteignait le sommet d’une excellente et très convoitée relation humaine. Tous les collégiens me sollicitaient, pour entendre de ma voix, le récit des rumeurs fantasmagoriques qui couraient d’oreille en oreille. J’étais devenue le héros des heures de récréation, sous l’œil vigilant des deux surveillants qui ne tardèrent pas à en avertir les professeurs et le personnel administratif. Avisé de la situation, le Principal du collège prit la mesure répressive de contacter ma famille, par le biais du téléphone, à l’heure où je rentrais des cours. Cinq sonneries retentirent, avant que ma mère finît par prendre la communication. Je restais planquée dans le sas de l’entrée, d’où j’entendais distinctement leur conversation, grâce au haut-parleur que ma maman mettait toujours en service, pour amplifier et améliorer son écoute.

  • « Allo ! Dit-elle, d’un ton décontracté.

  • Allo ! Bonjour, Madame, suis-je bien chez les parents de mademoiselle Christine BOYER.

  • Oui, Monsieur, confirma-t-elle, d’une voix teintée d’inquiétude.

  • Heureux de vous entendre, Madame BOYER. Je suis le principal du collège de votre fille, monsieur LITOVSKI, se présenta-t-il, l’expression affable.

  • Que se passe-t-il, Monsieur le Principal ? A-t-elle un problème ou a-t-elle fait quelque chose de grave ? Questionna ma mère, dans la précipitation.

  • Non, rassurez-vous, Madame, il ne lui est absolument rien arrivé de grave, annonça-t-il, avec diplomatie. Je souhaiterais vous rencontrer, justement pour en parler, vous et votre mari, bien évidemment. Y voyez-vous un inconvénient ?

  • Absolument pas, Monsieur LITOVSKI, confia-t-elle, le front plissé d’interrogations.

  • Dans ces conditions, avez-vous un jour de préférence, dans votre planning ? Consulta-t-il, d’une intonation semblable à la précédente.

  • Nous sommes disponibles, mon mari et moi, à partir de 18 h, quel que soit le jour de la semaine, certifia-t-elle, en regardant vers le couloir d’entrée, si j’étais arrivée.

  • Très bien, je prends note et je vous en aviserai par un mot que je remettrai à votre fille, décréta le principal.

  • D’accord ! Conçut-elle, d’un air angoissé.

  • À bientôt, Madame BOYER !

  • À bientôt, Monsieur LITOVSKI, agréa ma mère, d’une voix déconcertée. »

Le directeur était un petit homme âgé d’une quarantaine d’années. Les verres de ses lunettes noires qu’il portait, pour sa grande hypermétropie déformaient, excessivement, les dimensions de ses yeux et lui donnait une apparence d’extraterrestre. Mais les élèves les plus audacieux le surnommaient « La Mouche. » Ma colère m’y ramena, sachant qu’un appel provenant directement du dirlo était de mauvais augure, dans 90 % des cas. « Qu’est-ce qu’il me veut cette mouche à merde ? Songeai-je, dans l’angoisse et le visage rembruni de colère. Pff ! » Ce soir-là, ma mère jugea préférable de ne pas aborder le sujet de cette convocation, pour préserver mon investissement et ma réceptivité, dans mes cours du lendemain. Comme suite à leur conversation téléphonique, un rendez-vous notifié mentionnant l’accompagnement de mes parents et signé par le proviseur, dans la soirée suivante, conclut leur accord. Ceux-ci se vêtirent d’une tenue sérieuse et sobre de leur réception mondaine et m’imposèrent leur style, pour afficher l’image d’une famille formidable et respectable. À contrecœur, je franchis l’immense portail en fer forgé vert du collège, dans mes vêtements et mes chaussures flambant neuf, de petites filles modèles.

  • « Bonjour, Monsieur et Madame BOYER, je suis très heureux de vous recevoir dans mon bureau, cependant, j’aurais préféré que ce soit dans d’autres circonstances, accueillit le directeur, avec diplomatie. Bonjour, Mademoiselle, me lança-t-il, d’un ton direct et froid. Donnez-vous la peine d’entrer.

  • Ma femme et moi aussi, nous sommes très enchantés de vous rencontrer, Monsieur LITOVSKI, concéda mon père, d’un air inquiet. Nous sommes profondément désolés, pour les désagréments que notre fille vous procure. »

À ces mots, je fronçai des sourcils. Cette position d’accusée m’embarrassait énormément. Nous ignorions encore de quoi il en relevait.

  • « Oh, mais, ce n’est pas pour l’établissement qu’elle représente un problème, plutôt pour elle-même. Vous pouvez vous asseoir, invita-t-il, d’un ton aimable. Vous y seriez plus à l’aise. Il est vrai que votre fille est un peu jeune, pour son âge, par rapport à ses petits camarades, au niveau d’une sixième. Par contre, d’un point de vue intellectuel et de maturité, elle me semble en phase, avec les autres élèves et au sujet de l’intégration nécessaire, pour un bon parcours scolaire, elle paraît s’être très bien adaptée. Pourtant, il y a quelque chose qui me dérange chez elle. Cʼest un constat qui m’est difficile de vous annoncer, quoique..., je vais m’y attacher envers et contre tout. Voilà, ne croyez-vous pas qu’elle puisse souffrir d’un problème psychique, pour raconter de telles histoires, pendant les récréations ?

  • Excusez-moi, Monsieur LITOVSKI, interrompit ma mère, avec délicatesse et les yeux ouverts d’étonnement, que voulez-vous insinuer, par de telles histoires ? Nous ne sommes pas informés des secrets que notre fille partage, avec ses petits camarades.

  • Jusqu’à présent, cette jeune Demoiselle divulguait, uniquement, les scénarios de ses cauchemars, or, maintenant, elle affirme les vivre, dans la réalité de son quotidien, précisa le principal, d’une intonation diplomate. Elle a réussi à convaincre le collège entier, d’avoir dû affronter les menaces, d’un individu monstrueux et préhistorique, derrière les fenêtres de sa chambre, au milieu de la nuit. »

À cette annonce, mes parents se fixèrent, longuement, d’un air désabusé, avant de me foudroyer, de leurs yeux culpabilisants. Ma mère serrait son sac contre sa poitrine, pour contenir sa colère envenimée par sa peine. La pression de son regard me contraignit à baisser la tête, par sentiment de culpabilité, mais moi, je recherchai, avant tout, à cacher mon expression contrite et mes larmes. « Punaise ! Songeai-je, simultanément. Qu’est-ce qui m’a pris de me confier, une fois de plus, aux communs des mortels ? Je m’étais jurée de ne plus le faire. »

  • « Écoutez, Monsieur LITOVSKI, incontestablement, nous ignorions les conciliabules de notre fille. Cependant, nous reconnaissons la réalité de ses réguliers cauchemars et nous sommes conscients de la nécessité de contacter un spécialiste qui déterminera l’origine de ses nuits perturbées, admit mon père, d’un ton calme et conciliant. »

Brusquement, je relevai la tête, les prunelles enflammées de désapprobation.

  • « C’est la meilleure décision que vous puissiez prendre, encouragea le principal, tenez-moi informé de l’évolution de la situation, le personnel enseignant de l’établissement coordonnera leurs efforts et attentions, en fonction du diagnostic du spécialiste que vous aurez contacté, pour résoudre au mieux ce problème.

  • Sans hésitation, confirma ma mère, les pupilles étincelantes de bienveillance.

  • Qu’en pensez-vous, Mademoiselle ? Interrogea-t-il, d’un rictus taquin. »

À sa question, je conservai un moment de silence. Je scrutai mes parents, de mes mirettes dilatées d’indignation, avant de répondre.

  • « Êtes-vous certain de vouloir mon avis ? Défiai-je, d’une voix meurtrie.

  • Quoi que j’en pense, la décision vous appartient exclusivement. D’ailleurs, il me semble qu’elle soit prise.

  • Rien n’est irrévocable en matière de décision, Mademoiselle, et votre avis nous est primordial. Au collège, chacun a le droit à la parole, réfuta-t-il, d’une inflexion attentionnée.

  • Ok, si vous tenez tant à le savoir, je m’oppose totalement à cette décision, de rencontrer un spécialiste. Je n’ai absolument aucun problème, moi, avertis-je, d’un ton catégorique.

  • Bien, je vous accorde le bénéfice du doute, conçut-il, les pupilles dilatées de sincérité. Mais entre nous, sachez que vous devez, impérativement, pouvoir répondre à la question, de ce qui vous amène, depuis peu, à raconter des récits, aussi rocambolesques et surnaturels, pendant les récréations. Qu’importe l’endroit où la personne à qui vous vous confierez, vous devez éclaircir cette part d’ombres en vous. »

À cette remarque, un long silence s’installa. Puis, le directeur invita mes parents à quitter son bureau, pour rencontrer le conseiller principal d’éducation, monsieur LI WON KI, et me permettre de méditer sur sa nouvelle proposition. Seule dans la pièce, j’observai les moindres détails des bibelots et des cadres disposés, sur la bibliothèque de cet homme. Au bout de dix minutes de discussion, dans le couloir, ils regagnèrent leur place, les regards miroitants de connivence. Submergée d’angoisses, je regagnai précipitamment la mienne.

  • « Voilà ce que le CPE et moi te proposons, jeune fille, déclara d’emblée monsieur LITOVSKI. Tu vas rentrer chez toi, avec tes parents, pour ce soir, et vous allez, en famille, tenter de résoudre calmement la situation. Assorties de votre concertation privée, nous nous retrouverons, demain soir, à la même heure, dans mon bureau, pour faire le point. Cela vous convient-il ?

  • Oui, Monsieur, souscrivis-je, d’un ton plus clément et monotone.

  • Épargnez-vous cette profonde tristesse et cette mine totalement effondrée, nous trouverons une solution qui convient à chacun d’entre nous, sans qu’elle ne nous affecte, même superficiellement et les choses rentreront rapidement dans l’ordre, rassura-t-il, d’un air dynamique et convaincu. »

Le trajet du retour se déroula dans le mutisme. Submergée par mes pensées, je fixai le paysage qui se déroulait rapidement, sous les feux de mes projecteurs obscurcis de tristesse. Au seuil de l’entrée, ma mère explosa de critiques, teintées d’une pointe d’amertume, en s’adressant à mon père.

  • « Ma fille à raison, elle ne souffre d’aucun problème, ce sont tes contes et tes légendes, que tu lui racontes, depuis sa tendre enfance, qui la perturbent autant la nuit. D’autant plus que tes lectures se font au chevet de son lit, les soirs de pleines lunes.

  • Voyons ma chérie, qu’est-ce que tu dis, la culture et le folklore n’ont jamais porté préjudice à quiconque, Christine est capable de distinguer la réalité de l’imaginaire, remarqua mon père, d’un ton diplomate, en pénétrant notre demeure, suivie de près par ma mère. Et qui ignore que l’on doit apprendre à vaincre toutes nos peurs, durant notre vie ? »

Je les précédai et me dirigeai vers ma chambre, pour ôter ma robe de poupée de porcelaine et mes chaussures-aubergines noires.

  • « Tu as toujours de belles paroles réfléchies, pour excuser ou estomper toutes tes erreurs, tes oublis et tes fautes d’homme toujours parfait, maugréa-t-elle, d’une voix tonitruante. Mais je te tiens complètement responsable de cette situation. Tu ne m’enlèveras pas l’idée que certains récits puissent être choquants et marquants, pour un enfant. Chaque âge correspond à une faculté de comprendre et d’assimiler les informations, sans préjudice psychique. »

Entièrement habillée et allongée sur mon lit, j’entendais leur discussion, plutôt agressive, à travers les murs de ma chambre, sans intervenir. C’était la première fois que mes parents s’interposaient aussi violemment. J’en étais toute retournée. Cependant, c’était aussi la première fois que ma mère osait s’affirmer face à mon père ou à un homme quelconque. Plus la soirée s’écoulait, plus leur dispute prenait une tournure mélodramatique. Un sentiment de culpabilité m’envahit profondément, j’enfilai mon pyjama de lin rose et m’engloutis sous ma couette d’été. Malheureusement, leur voix traversait amplement celle-ci et me transperçait le cœur. Soudain, je me levai précipitamment et quittai frénétiquement ma chambre, pour les rejoindre rapidement, mes oreilles obstruées par mes mains et le cœur saturé de remords. À peine dans la pièce commune, je poussai un cri désapprobateur.

  • « Cessez de vous disputer ! »

Surpris par mon intervention, ils arrêtèrent immédiatement, leur altercation et braquèrent leur regard, dans ma direction.

  • « Tout ça, c’est de ma faute, fondis-je, en larmes.

  • Mais non ma grande, observa ma mère, d’une voix émue, tu n’es pas responsable de notre incapacité mutuelle à dialoguer, avec diplomatie et égard, attesta-t-elle, en se dirigeant vers moi.

  • Ta mère a raison, confirma mon père, d’un ton embarrassé. Tu n’y es pour rien, dans notre désaccord.

  • Non, c’est plutôt vous qui ne comprenez pas, réfutai-je, d’une inflexion teintée d’exaspération. Si je ne faisais pas de cauchemars, si je ne les avais pas divulgués à mes camarades et si je n’avais pas vu cet ignoble individu, nous n’en serions pas là.

  • Mais ma fille, reprit mon père, d’un ton attendri, les cauchemars répétitifs cachent parfois et même souvent des inquiétudes et des anxiétés enfouies, dans notre subconscient. Qu’est-ce qui te perturbe autant, pour aller jusqu’à raconter cette rencontre du troisième type fictive ? Tu as un problème, avec un camarade de l’école ? Je peux t’inscrire au collège de Juliette Dodu, c’est à deux rues plus loin ?

  • Je sais où cette école se trouve, papa, j’ai quelques amis qui y vont, répondis-je.

  • Donc, c’est bien cela, déduisit mon père.

  • Je n’ai rien dit de tel et peu m’importe de changer de collège ou de ville pour m’y rendre, rétorquai-je.

  • Tu ne veux pas te confier à ta mère ou à moi ? Insista-t-il. Je te fais si peur ?

  • Non, papa, non ! ... Je... je…, hésitai-je, d’un air désemparé, entre mes silences… Pourquoi faut-il que tu nous mentes, sur ta véritable profession ? »

Les prunelles ouvertes de stupeur, mon père glissa ses doigts dans ses cheveux. Son visage empreint d’appréhension trahissait, inévitablement, son état d’âme. Sans paniquer, il tint une réplique justificative, assez convaincante.

  • « Qu’est-ce qui t’amène à m’accuser de menteur, ma petite et tendre puce ? Douterais-tu de ton père ? Je suis courtier, dans une caisse d’assurance vie de la ville, depuis ma retraite de militaire. Là-dessus, je peux te le prouver, en te proposant un après-midi, en ma compagnie, dans mon bureau.

  • Alors, pourquoi t’absentes-tu aussi souvent et à n’importe quel moment, sans que l’on ne puisse s’apercevoir que tu t’es, une fois de plus, mais de trop, éclipsé ? Enquêtai-je, d’un ton avide.

  • Aah, c’est donc cela qui te perturbe, mais que vas-tu t’imaginer et où veux-tu en venir, ma princesse ? Questionna-t-il, les sourcils plissés d’étonnement. »

Cette question me laissa dubitative. L’ambiance était tendue et risquait à nouveau de tourner aux éclairs. Afin de détendre l’atmosphère, j’offris une boisson chaude à mes parents, dans la convivialité du salon. Mon père qui était nerveux et excité se calma, dès sa première gorgée d’un délicieux thé des Indes. Ce qui me permit de reprendre notre discussion.

  • « Vois-tu papa, je te soupçonne sérieusement d’être un espion de la DCRI ou de la DGSE, ou de la DGSI, voire de la SDAT ou de la DRM, avouai-je, les mirettes miroitantes de sincérité. À partir de là, je me suis dit que, si tu pouvais mentir à ta famille, pour préserver l’anonymat de ta profession, comment te faire confiance pour tout le reste ? »

À cette annonce, mon père éclata de rire. Son hilarité résonna dans la surface entière de la pièce et nous contamina à tour de rôle. Soudain, il s’arrêta et poussa un soupir d’aise.

  • « Moi, un espion de la République ! S’exclama-t-il, d’un air surpris et d’un ton rieur. Qu’est-ce qui t’a conduite à une pensée aussi farfelue ?

  • Tout papa, tout ! Tes gestes, tes paroles, ton attitude, tes expressions au téléphone, à la maison, tes absences prolongées et lorsque tu rentres tardivement la nuit, indiquai-je, d’une intonation indignée.

  • Pourquoi ne m’as-tu pas confié tes inquiétudes, ma grande ? Interrogea ma mère, d’un air ébahi. Je t’aurai informée de la disponibilité qu’exige la fonction de courtier, sans oublier les stages, les formations et les voyages que ce métier induit et j’aurais su éviter cette ascension vertigineuse, de tes illusions déroutantes.

  • Parce que ce que je craignais ta réaction, souvent traduite par des remontrances, pas toujours faciles à accepter et à concevoir l’impossible et l’inconnu, révélai-je, le regard profondément contrit et confus.

  • Alors voilà ce que je vous propose, annonça mon père, d’un ton solennel et conciliant, dorénavant dans cette famille, nous accorderons une heure au dialogue, durant toutes nos soirées. Tous les sujets seront abordés, en fonction de nos questions ou de nos tracas du moment, au-delà de nos peurs, des conséquences et retombées éventuelles. Pour cela, je décrète que pendant ces séances, la tolérance sera le mot d’ordre et la clarification sera de rigueur. Qu’en pensez-vous ?

  • Excellente idée ! S’émerveilla ma mère, les lèvres éprises d’une joie ensoleillée. C’est la meilleure proposition que tu puisses nous faire, mamour, pour consolider notre harmonie familiale.

  • Je partage entièrement vos opinions, confirmai-je, d’une voix enjouée. Les non-dits sont toujours porteurs de souffrances, de discordes et empêchent l’évolution de toute situation, vers des solutions adéquates.

  • Eh bien, puisque nous sommes à l’unanimité satisfaits, il ne nous reste plus qu’à en informer monsieur le principal, observa mon père, d’un ton soulagé, et les choses rentreront dans l’ordre, définitivement, telles qu’il avait déclaré.

  • Exactement ! S’exalta ma mère, il en va de soi et pendant que je prépare le dîner, vous allez m’expliquer ce que signifient la DCRI et tout le reste, parce que franchement, ce vocabulaire siglé m’est totalement inconnu. Par la même occasion, notre projet de consolider le dialogue, dans cette famille, débutera, dès ce soir.

  • À toi l’honneur, jeune fille, attendu que tu m’as l’air, si bien informé, insuffla mon père, d’une voix empreinte de galanterie.

  • C’est comme vous voulez ! M’enthousiasmai-je, d’un ton ravi. C’est un vrai plaisir pour moi. La DCRI c’est la Direction Centrale du Renseignement Intérieur, la DSGE c’est la Direction Générale de la Sécurité Extérieure, la DGSI, c’est la Direction Générale de la Sécurité Intérieure, la SDAT c’est la Sous-Direction Antiterroriste qui, jusqu’à nouvel ordre, dépend directement de la DCPJ, la Direction Centrale de la Police Judiciaire, et enfin, la DRM, c’est la Direction des Renseignements Militaires, énumérai-je, avec sagacité.

  • Merci, ma puce, accommoda ma mère, les mirettes étincelantes de satisfaction et de bonheur. J’ignore si je vais retenir tout cela, mais merci, infiniment, de nous partager tes connaissances. Peux-tu à présent dresser la table avec ton père ?

  • Évidemment, n’est-ce pas, papa ?

  • Bien sûr, souscrivit celui-ci, le visage esquissant une mimique contradictoire, pour se plier à cette tâche qu’il estimait contraignante. »

Par un clin d’œil discret, je lui exprimai mon soutien qui déclencha notre sourire furtif et complice. Dès lors, notre union familiale prit cette fabuleuse directive constructive. Le jour suivant, mon père se chargea de rendre un rapport détaillé de notre confrontation et de nos accords à monsieur LITOVSKI. Ce dernier afficha son ravissement d’agrément, par un large étirement des berges de sa bouche et ses joyaux oculaires, sous ses grosses lunettes noires. Mais moi, un zeste de suspicion retint mon sentiment de plénitude. Mes cauchemars n’étaient pas liés à mes soucis, sur la véritable profession de mon père et au fond de mon être, cette conviction persévérait, sans pour autant savoir d’où elle provenait.

  • « Vous me voyez ravi, Monsieur BOYER, confia le principal, d’un ton sincère. Je veillerai à ce que votre fille évolue vers une discipline aussi sereine, que celle dans laquelle elle semble vouloir s’engager.

  • Merci, infiniment, Monsieur LITOVSKI, agréa mon père, avec une poignée de reconnaissance. »

Puis, avant de nous rejoindre à la maison, il fit un petit détour chez le seul concessionnaire de téléphonies portatives de l’île, afin de négocier l’achat de portables d’occasion et d’un abonnement ajusté à notre budget familial. Notre joie fut à son apogée, lorsqu’il nous les offrit, malgré les risques d’agression qui en découleraient et qui étaient d’un quotidien angoissant, pour tout détenteur de toute technologie électronique. Nous pouvions, dès lors, cultiver notre complicité et renforcer nos liens. Ces incidents se clôturèrent ainsi. Mystérieusement, personne ne refit allusion à l’apparition de cet énergumène. Moi aussi, je finis par oublier cette horrible rencontre. Durant deux ans et demi, le calme et la quiétude semblaient s’être installés, dans notre vie familiale. « Finalement, il n’est pas si mauvais ce cher LITOVSKI, songeai-je, à une heure perdue. Il nous a indirectement et harmonieusement réunis, mes parents et moi, en brisant le mur du silence des non-dits. Tout ce qui se brise fait mal, mais souvent c’est pour recevoir et accueillir quelque chose de mieux. » Ce moment de réflexion fut très enrichissant, dans l’évolution de ma maturité, même si au collège, quelques problèmes d’un ordre mineur et également liés à mes principes, trop engagés, sur la solidarité, l’empathie et l’humanité, dans un monde où la violence et l’indifférence étaient redevenues un mode de vie en vogue, ternissaient ma joie intérieure de vivre et d’être, par les complications qu’elles soulevaient plus ou moins en masse, certes, mais davantage que les solutions. Cependant, monsieur LITOVSKI tint ses promesses d’intervenir en souplesse, et moi, je respectai mon contrat de discipline, en acceptant ses compromis.







Chap. VI

Ténacité Juvénile.




À la porte de ma douzième année, mes étranges rêves, une fois de plus, se différenciaient et se diversifiaient, par des scènes agrémentées d’une touche d’originalité réaliste. Le plus marquant fut celui où je me tenais debout, dans une maternité désertée, berçant sereinement un bébé dans mes bras. Soudain, surgissant de nulle part, un homme froid, ténébreux, habillé d’une robe chasuble orange et d’une physionomie cachée, par un voile de brume, me l’arrachait contre ma volonté. Devant mon incapacité à me défendre, je fondais en larmes et plongeais dans une profonde tristesse. Quand brusquement, je me réveillais en sursaut, en sueur et durant quelques secondes, avec le sentiment d’avoir été meurtrie, dans mon for intérieur, par le dépouillement de ma chair. Les jours suivants, après avoir lu un article sur les rêves prémonitoires, je craignis que mes songes nocturnes ne soient des prédictions, d’une éventuelle grossesse. En conséquence, je vivais sur mes gardes, chaque amourette qui risquait de dépasser le cadre du flirt. Pourchassée par cette idée et avec l’accord et l’accompagnement de mes parents, je me confiai à un psychanalyste qui était spécialisé, dans l’interprétation des visions de l’esprit. Au-delà d’une éventuelle prémonition, il m’apprit qu’il pouvait s’agir d’un projet à naître qui me stressait inconsciemment et qui, par le biais du rêve, pouvait prendre différentes formes. Selon ce spécialiste, la robe pouvait représenter l’aspect féminin du projet et le voile qui était le produit de mon anxiété, un soupçon d’obstacles, dans son élaboration. Cette explication me rassura sur l’instant présent. Le lendemain de cette visite, en plein cours de français, je plongeai inévitablement, dans mes pensées, les yeux attisés d’incertitude. « Un projet à naître ! ... De quoi pourrait-il s’agir ? ... Peut-être une carrière dans la chanson ! ... C’est fort possible ! ... Ce serait formidable ! ... »

  • « Dites donc, Mademoiselle, vous êtes en classe pour travailler. C’est la nuit qu’il faut rêver ! Réprimanda le professeur, d’un ton ferme et direct. »

Brusquement, je revins en classe dans un état semi-conscient, de l’endroit où je me trouvais. Puis, dans la fraction de seconde où ma perception s’éveillait, je fis un quart de tour sur mon siège et j’observai, d’un air embarrassé, les regards braqués vers moi de mes camarades. Aussitôt, le professeur nous rappela à l’ordre et nous invita à reprendre le fil de son cours interactif. « Cette fois, je l’ai bien cherché, songeai-je, en essayant de me concentrer, sur la leçon du jour. » Les semaines qui s’écoulèrent me permirent de constater les bienfaits de ma démarche chez ce spécialiste. Mes relations amicales s’amélioraient simultanément à mon tonus mental. Pour parfaire à ma renaissance, je me passionnai pour les astres. Tous les soirs, de mon lit, je scrutais longuement le ciel étoilé de l’île et profitais de cet instant, pour apprécier le calme et la plénitude de l’espace, en m’isolant du reste du monde. Ce rituel agissait tel un somnifère et m’amenait dans un sommeil profond et réparateur.

Deux mois où mon existence en dehors du collège prenait une orientation harmonieuse et sereine passèrent, tranquillement. Dans la nuit du 15 janvier 2229, alors que je pénétrais dans ma chambre, j’aperçus, de la porte, un puissant flash lumineux qui semblait quitter la pièce, par la fenêtre que j’avais oublié de refermer. Malgré le froid, je me précipitai vers celle-ci et observai un spectacle fabuleux dans le ciel. Cette luminance qui, à l’instant d’avant, éclairait l’extérieur convergeait vers l’espace, en un point lumineux, situé entre les milliards d’étoiles de la Voie lactée et s’éloignait rapidement de la Terre, avant de disparaître. Une plénitude m’envahit. « C’est magnifique ! Déclarai-je, d’un ton ébahi, nous ne sommes pas seuls dans l’univers. Tout à coup, cette chose d’origine extraterrestre disparut. Submergée de fatigue, je me couchai dans l’extase de cette vision. Mon exaltation prit fin, lorsque, au petit déjeuner du lendemain, ni ma mère, ni la presse, ni les journaux télévisés ne relatèrent ce phénomène surnaturel. Les jours suivants, cette réalité me rattrapait. Personne d’autre que moi n’avait assisté à cet évènement. Je ne pouvais que me ranger sur l’avis du commun des mortels, une fois de plus, lequel reposerait sur la thèse d’un rêve de manifestations, d’un autre univers, si je m’étais confiée. Pourtant, un matin où je me rendais à l’école, un enfant âgé d’environ cinq ans et accompagné de sa mère me tendit une feuille blanche. Avec un sourire innocent, j’acceptai son offre. À l’instant où je retournai la feuille, je découvris l’esquisse enfantine d’un ciel étoilé, avec un point plus lumineux que les autres, placé au centre de son œuvre. J’en fus profondément secouée, mais conservai mon calme et me rendis à l’école. Au-delà de mes attentes, cette journée de classe se déroula à l’accoutumée. Après le collège, à peine eus-je franchi le seuil d’entrée de notre demeure, que ma mère me remit une pile de feuilles de dessins d’enfants, sur lesquelles la même figure, que celle du papier que je tenais encore dans la main était dessinée.

  • « Que signifient tous ces croquis célestes, dans ma boîte aux lettres ? Exigea-t-elle, d’un ton avide.

  • Je n’en ai vraiment aucune idée ! Déclarai-je, les yeux ouverts d’étonnement. Ce matin, un petit garçon m’en a offert un également et je te rassure, j’éprouve autant de stupéfaction que toi. Donne-les-moi, je vais t’en débarrasser illico presto, adjugeai-je, pour clore cette conversation. »

Ma mère accepta sans manifester ni éprouver une réaction de suspicion et vaqua à ses occupations et moi, à mes devoirs, avant le dîner. La soirée se déroula comme d’habitude. Dès que je me couchai, mes pensées m’envahirent. « Que vais-je faire de tous ces dessins ? Pourquoi me les a-t-on donnés ? » Je fis abstraction de faire un rapprochement, avec le phénomène lumineux de la semaine dernière, en la présence de ma mère, pourtant, je ne pus m’empêcher d’y songer, une fois dans mon lit. « Ces enfants ont certainement assisté à ce spectacle… devrai-je en parler ? ... Mais qui prendrait au sérieux la parole d’un groupe d’enfants, appuyée par celle d’une adolescente, dans ce monde ? » Sur ces évocations pessimistes, je plongeai dans un sommeil agité. Au petit matin, avant de me rendre au collège, mon ambition de lever le voile, sur mes observations insolites de la veille et au sujet de ce dessin, me poussa à suivre ce petit garçon et sa mère, afin de tenter de l’aborder, à l’insu de tout adulte. Cette filature me conduisit devant l’entrée d’une école primaire laïque publique. Cachée entre deux voitures, j’observai les moindres faits et gestes de quiconque, dans l’environnement proche de cette mère et de son enfant. Peu de temps après qu’il eut passé le beau portail de l’institution, je m’en rapprochai, afin de m’y introduire discrètement, avec le passage d’un autre parent qui accompagnait son enfant. Dans la cour de l’établissement, je profitai d’une discussion de la directrice, avec la mère de ce garçonnet, pour tenter d’attirer l’attention et obtenir l’empathie de celui-ci, en tenant son œuvre artistique à la portée de sa vue. Au-delà de mes espérances, il vint dans ma direction, mais conserva une distance de sept mètres entre nous, pour enfourcher un des petits vélos trottinettes, mises à la disposition des élèves. Le peu de mètres qui nous séparaient me portaient préjudice. Il n’était pas question de me faire démasquer. Alors, avec une discrétion réfléchie et l’œil aux aguets, je l’interpellai.

  • « Hey ! Petit ! Soufflai-je, en lui montrant son dessin. Merci, pour cette merveille ! C’est moi ! Tu ne me reconnais pas ? »

Il se retourna et esquissa sa gaieté angélique, sur ses lèvres, à la vue de sa création d’art.

  • « C’est toi qui as dessiné ce ciel féérique ? Enquêtai-je, d’un ton assourdi.

  • Oui, c’est mon dessin, affirma-t-il, d’une voix innocente.

  • Rapproche-toi que je t’entende, influençai-je, avec gentillesse. »

Sans l’ombre d’une hésitation, il trottina vers moi.

  • « Pourquoi me l’as-tu offert ? Quémandai-je, les pupilles éclatantes d’avidité.

  • Je ne sais pas, déclara-t-il, d’un ton et d’un air fripon. Quelque chose m’a poussé à le faire, ajouta-t-il, les iris assombris de mystère. Quelque chose qui m’a procuré du plaisir et de la joie d’offrir. Quelque chose qui…

  • As-tu vu ce festival de lumière que tu as si bien reproduite sur cette feuille ? »

À peine eus-je posé ma question qu’une surveillante s’alarma, d’une voix tonitruante :

  • « hey ! Que faites-vous avec cet enfant ? »

Instantanément, un autre cri s’ensuivit.

  • « Mon fils ! C’est mon fils ! Que veut-elle de mon fils ? S’affola la mère, en courant dans ma direction, les mains en appui sur sa tête et les yeux ouverts de frayeurs. »

Paniquée par les regards foudroyants de malveillance qui se braquaient vers moi, je détalai à vive allure vers la sortie, en bousculant imprudemment une femme qui accompagnait ses filles. Aussitôt dehors, je foulai frénétiquement le trottoir, pour gagner mon collège. « Ce n’est vraiment pas le moment d’être, à nouveau, confrontée aux quelconques ennuis, évoquai-je, en fuyant. »

Les soirées suivantes, je fondais mon espoir d’assister à d’autres phénomènes. Mais le ciel d’un soir d’hiver se figeait à l’effigie d’une photographie réussie, d’une sublime illumination d’étoiles fixes et filantes, dans l’obscurité d’une lune noire. Celle pour laquelle, sans hésiter, on se munit d’un cadre blanc et l’accroche à un mur stylique de briques grises, pour l’immortaliser à vie. Ma déception grandissait au fil des jours. Elle s’atténua à l’apparition des complications liées à ma vie de collégienne, lesquelles vinrent s’incruster, inexorablement, dans mon quotidien. Pour amplifier mon désespoir, au-delà de nos attentes, un horrible évènement se produisit. À tous justes treize ans, mon père mourut brusquement. C’était le 12 février 2229. Le mutisme du corps médical, au sujet de la cause de son décès, me perturba profondément sur le plan émotionnel. Mais rapidement, mes torrents de larmes se transformèrent en un fleuve d’indignation. Sans justification, la clinique refusa également de nous disposer de son corps, pour une veillée mortuaire à la chrétienne. Dans un premier temps, j’avais l’impression que mon monde s’effondrait autour de moi, d’autant plus que ma mère n’eut pas la force de supporter cette situation toute seule. Passé la période des pleurs, cette perte me fit réagir positivement, en réalisant l’importance de devoir soutenir ma mère. Ainsi, je devenais le pilier de cette famille, du moins de ce qui en restait, même si certains soirs, je m’écroulais de tristesse dans mon lit. « Pourquoi m’as-tu quitté ? ... Pourquoi es-tu parti aussi vite ? ... Que vais-je devenir ? Réfléchis-je, le cœur rongé de remords et les prunelles noyées sous le flot de mes larmes. »

À mes instants perdus, avant de sombrer dans le désarroi et l’amertume, je m’adonnais chaleureusement à la musique et à la chanson. J’interprétais l’ensemble des variétés françaises et étrangères, jusqu’au jour où un profond désir et un besoin vital m’amenèrent à me consacrer à la rédaction de mes propres textes et de leur partition musicale. D’une certaine nostalgie, devant les difficultés émotionnelles et psychiques que j’avais traversées à la disparition de cet être cher de mon existence, jaillirent les premières paroles du titre « vivre en paix. » Ces dernières s’inspiraient directement des souvenirs du caractère de mon père, dans sa vie quotidienne et d’un rêve à la frontière du réel, dans lequel je l’avais aperçu, dans une tentative de retour vers nous. Et à peu de mètres près de ma main tendue vers lui, contre sa volonté et à mon insu, le vide l’aspirait et le projetait à des kilomètres en arrière. Je l’interprétai comme une fuite, un refus de nous voir et j’en fus profondément dévastée. Ce qui influença mon choix de la mélodie, d’un genre celtique qui me transportait sur un nuage et qui me touchait en plein cœur. Elle apparut comme par enchantement, sous la pulsion d’une nuit de mélancolies teintées d’amertume, en entendant les notes tonitruantes et envoûtantes d’une cornemuse, lesquelles un de mes voisins produisait, chaque début de soirée, depuis trois semaines. Cette charmante mélopée lointaine et ancestrale m’inspira profondément. Sous cette influence, je composai la mienne à partir du studio d’enregistrement de mon logiciel, après avoir rédigé les paroles, sur mon traitement de texte :

  • « T’es perdu tout au fond de ton puits, je te tends la main, mais tu t’enfuis.

Pourquoi donc, à chaque fois tu t’en fous, dès qu’il s’agit de venir vers nous ?

Pourquoi tant d’indifférence, à la main tendue que j’te lance ?

Ton comportement me fait penser, à celui d’un homme égaré.

Si un jour tu décides de revenir, alors, peut-être je pourrais t’aider.

Pour trouver les clefs de l’avenir qui te permettraient de vivre en paix.

Donnes-tu de l’importance, à t’accrocher à mon influence ?

Lutte un peu pour ta vie, j’t’en supplie, ne réagis pas avec mépris.

Je me bats durement comme un lion, puisqu’il faut t’enseigner la raison.

Sans espoir, la vie n’est qu’illusion et l’amour ne suit plus les saisons.

Si un jour, tu m’entendais, prouve-moi ta sensibilité.

Car jamais je n’ai autant frôlé, le désir de tout abandonner. »

Cette fatalité traduite à travers mes rimes musicales me redonna la confiance et la maturité d’esprit, d’une adulte confirmée. Mon corps d’enfant se transforma en une belle, fine et élégante jeune fille, mais ma physionomie restait celle d’une angélique gamine. Mes cheveux perdirent de sa blondeur, à part quelques rares mèches qui dessinaient des reflets, dignes d’une création d’un salon de coiffure. Leur longueur atteignant la moitié du dos résultait de la mode de l’époque et me donnait un trait en commun, avec ma mère.

Néanmoins, ce drame n’était pas la source unique de ma reconversion à la sagesse. Souvenez-vous-en, durant mes deux premières années d’études secondaires du premier cycle, mon attitude avait également évolué, dans le sens de la maturité, en dépit de quelques écarts, notamment le petit incident intervenu, dans la classe de sixième. Le calme et la rigueur étaient redevenus mes priorités, grâce aux discussions rituelles et empreintes de zénitudes instaurées au sein familial. Malheureusement, cette période de bonnes résolutions prit fin de la quatrième, jusqu’au premier trimestre de la troisième. Tel un sort qui s’acharnait sur sa victime, l’horreur reprenait son objectif de personnifications, par les acharnements de mesures disciplinaires de mes professeurs, dépourvus de motifs rationnels et justes. Je comptabilisais plus d’une altercation, à l’origine d’histoires plus ou moins confuses et incohérentes. Mon intolérance à accepter les séances d’humiliations non justifiées d’un enseignant, quels qu’eussent été les destinataires, me conduisait, souvent, dans le bureau du principal de l’établissement et était en partie un facteur de mes nouveaux ennuis juvéniles, que je qualifiais consciemment de problèmes d’ordre mineur. L’humanisme qui se développait en moi était plus fort que tout. Elle se traduisait par des réflexions et des attitudes qui malgré ma diplomatie étaient perçues, comme étant des actes répréhensibles. Cependant, après le décès de mon père, ces derniers prenaient des ampleurs nouvelles et majeures, et mettaient mes bonnes intentions et mon humble sagesse fraîchement acquise, à rude épreuve. « Mais comment ne pas s’interroger à l’adolescence sur la fiabilité des adultes, lorsque l’occasion de surprendre le sujet de leurs conversations, plutôt machiavéliques, se présente ? » Au troisième trimestre de mon année de troisième, en me rendant à mon cours d’histoire, l’une d’entre elles me parvint distinctement. Cachée derrière le mur attenant à leur salle de la terrasse du rez-de-chaussée, dont la porte était ouverte, je tendis l’oreille à la prononciation de mon nom, par un des professeurs.

  • « Bien ! Maintenant, passons à un autre élève. Que pensez-vous de la petite BOYER ?

  • Si tu parles de la petite Christine BOYER, à mon avis, cette gamine, il faut la tenir en laisse ! S’enflamma-t-il, d’un ton hargneux.

“Hein ! La tenir en laisse ! Qu’est-ce que j’ai fait ou pas fait ? Que me veulent-ils ? Pensai-je, le visage transi de peur.”

  • Tu as raison, unissons-nous pour la faire danser ! Instigua un autre d’entre eux, d’une voix teintée de haine… “Ce n’est pas possible, ces profs détestent les enfants, ils ne sont pas à leur place dans l’enseignement, ils n’en ont aucune vocation, songeai-je, d’un air outré…” Tiens ! Reprit cet homme, j’ai une idée qui nous permettrait de la cueillir sur un plateau. Après cette période d’excellentes notes et d’appréciation, affligeons-lui une série de mauvaises, assorties d’observations bien sucrées, et dans l’hypothèse où, au-delà de ces dispositions, elle dédaignerait de se ranger à la place qui lui est réservée, nous aviserons d’autres formes de sanctions, comme une transpoloni… »

Soudain, la sonnerie interrompit leur conversation. Brusquement, ils se levèrent et quittèrent la salle, sans m’apercevoir. Il faut dire que mon instinct de survie m’avait subtilement permis de me faufiler, derrière l’un des pylônes du hall, avant leur arrivée. « Sa transpoloni ! Qu’est-ce qu’il cherchait à dire ? Méditai-je, à l’abri de leur regard et sans faire le rapprochement, avec les deux termes inconnus qui me valurent une visite chez un pédopsychiatre, en conséquence de ma mésaventure hospitalière, à huit ans. » Après leur passage, je me rendis en classe, la pensée envahie par l’angoisse et le teint blafard.

À la suite de cette écoute furtive, j’adoptai une attitude de méfiance qui, cette fois, frôlait parfois l’agressivité. Dès lors, ma sagesse entra dans les archives du passé. D’ailleurs, certains de mes actes s’achevaient par une convocation d’urgence, mentionnant toujours la présence des parents. Monsieur LITOVSKI qui, lors de ma première convocation, était extrêmement conciliant n’exprimait plus aucune compassion ni empathie, pour mon comportement qu’il signalait de délictueux, dès lors. Au-delà des accommodements du CPE, il n’avait d’égard que pour les conséquences néfastes, de mes erreurs qu’il qualifiait de mauvais choix et me les reprochait sévèrement. Face au principal, ma mère prenait rarement ma défense. Pourtant, dans notre résidence, étant toujours déstabilisée, par la mort de mon père et dans l’incapacité de réagir, elle adoptait une attitude plus laxiste. Ce qui m’offrait des occasions d’apporter une explication loyale de mes actes. Mes justifications se soldaient par des moments de tendresse et de complicités fusionnelles. Sa confiance qui relevait de sa compréhension, souvent tardive, mais réfléchie, des situations ambiguës, dans lesquelles je me trouvais, alimentait mon envie de me battre. Devant l’insoutenable et avertie des intentions malsaines de différents professeurs, je ne pouvais que redoubler d’efforts, afin que mes résultats scolaires m’apparussent toujours comme une providence, pour équilibrer la balance de ma destinée et pour défier leur machiavélisme, dont le fondement me laissait encore perplexe. Je chantais, tous les jours, afin de gérer tout mon stress.

Cependant, malgré mon investissement positif, les convocations se succédèrent, pour répondre de mes actes d’ordre réellement mineur, par rapport aux précédentes, telles que des chuchotements et des refus de me rallier à certaines idées objectives, mais collectives. Ces plaintes me semblaient exagérément et injustement amplifier, par quelques enseignants. Au troisième trimestre de ma vie de collégienne, je fus sous les feux d’une assignation disciplinaire, dont les jurés étaient représentés par le corps d’enseignants, le personnel administratif et le principal, dans la salle des professeurs, à la première demi-heure, après la sortie des collégiens. Tous les éléments de mon dossier allaient contre moi et les arguments de ma défense se révélaient contestables. Debout face aux membres du jury, une bouffée d’angoisse me colla au sol, les yeux assombris d’inquiétude.

  • « Nous sommes réunis en cette fin d’après-midi, afin de statuer sur votre sort, annonça le principal, d’une voix grave. Nous nous sommes épanchés, deux soirs de suite, sur les éléments qui vous sont reprochés, dans votre dossier et après de longues discussions, nous en avons conclu que de tels agissements, de votre part, n’étaient plus sous l’égard de toute tolérance. Il semblerait que votre attitude nuise au bon fonctionnement d’un cours et à l’ordre civil et social d’une cour de récréation. Vous avez maintes fois enfreint toutes les limites de toutes sociabilités et de toutes capacités d’insertion, dans mon établissement, vous nous voyez contraints d’envisager un renvoi définitif. Votre mère en sera avisée, dès demain matin, par le biais d’un téléphone de mon bureau et par mon courrier, dans les jours qui viennent, afin de vous laisser le temps de choisir un autre collège, pour finir votre scolarité. Avez-vous une objection ou une remarque à émettre, en réponse à la décision de ce conseil ?

  • Non, rétorquai-je, d’un air impuissant et d’un ton abattu, par la sévérité de leur jugement et de cette sanction.

  • Bien, par conséquent, mes collègues et moi allons rapidement délibérer. Veuillez patienter cinq minutes, pria le principal. »

Les jurés se concertaient pour confirmer leur décision de m’infliger un renvoi définitif, lorsque monsieur LI WON KI, le conseiller principal d’éducation, surgit dans l’assemblée. C’était un métis asiatique et créole de couleur café au lait, très engagé et consciencieux dans ses convictions. Il n’hésita pas à prendre la position supérieure, pour s’opposer à ses confrères.

  • « Mesdames, Messieurs, bonsoir, réceptionna-t-il, avec élégance et tact. Je vous prierai d’excuser mon retard, j’étais retenu par un petit souci auprès d’un élève de sixième. Sachez que mon initiative, dans cette fin de réunion, risque d’interférer négativement vos ambitions. Votre intention inhumaine et destructrice, dans ce cas précis, où aucun fait d’une gravité justifiée et prouvée n’est mentionné, dans les accusations portées envers cette jeune demoiselle me paraît être le bon ordre du jour. Pouvez-vous me dire à quel moment cette élève a-t-elle commis des actes de violence verbale et physique, non préméditée ou même intentionnelle ? À quel moment a-t-elle compromis la réputation de cet établissement ? Sachant que l’imagination est au sommet de l’art, stimule toute forme de créativité et que c’est exactement ce que nous recherchons à inculquer à nos collégiens, en quoi constitue-t-elle un réel danger et contre qui ? »

Le jury, paralysé d’embarras, entretint un mutisme pesant. Les uns regardaient le sol ou le plafond et les autres se coiffaient nerveusement ou estompaient leur sueur de tracas, perlant sur leur front.

  • « Laissez-moi répondre à votre place : non, à aucun moment ! C’est la réponse qui vous entrave toujours et encore. Vous restez camper sur des problèmes qui ont été, définitivement, résolus et vous anticipez les futurs, à l’encontre du règlement. Vous faites fausse route, mes chers confrères. L’objectif de l’école est avant tout d’instruire, d’éduquer, de développer la créativité, l’autonomie et d’orienter. L’éducation ne passe pas par l’exclusion à la moindre brimade de collégiens et collégiennes, même si elle s’avère quotidienne, ni à tout infime mouvement de révolte des contestataires en herbe de l’injustice ou des défenseurs juvéniles des plus vulnérables, mais par un accompagnement affectif et psychologique de tout élève qui rencontre une difficulté quelconque. Durant ces deux derniers jours, je me suis tu et effacé, afin d’observer l’orientation de vos intentions. Par contre, ce soir, je vous clame, sans hésitation, mon opposition à la décision que vous vous apprêtez à confirmer. Et je tiens particulièrement à vous informer que je n’hésiterai pas à accompagner cette famille, non pas dans leur futur choix de collège, mais plutôt dans une contestation auprès du recteur de l’Académie, dans l’éventualité où vous ne faites pas l’effort de prendre en considération, l’erreur que vous vous apprêtez à commettre. Ce collège ne compte plus qu’une cinquantaine d’élèves, en dessous de ce seuil, il devra fermer, vous n’allez tout de même pas diminuer notre effectif, sur des motifs semblables. Le collège d’à côté, ils sont plus d’une centaine. Je suis prêt à vous parier ce que vous voudrez que l’Éducation nationale est en mesure d’émettre un jugement impartial et équitable, sur cette affaire. »

En quelques minutes, cet homme modifia les préjugés infondés et les objectifs de ses collègues, au sujet de ma future exclusion. Ceux-ci semblaient réaliser leur bavure professionnelle. Dès lors, leur conclusion s’orienta vers une punition instructive, dans laquelle je devais obtenir le meilleur résultat de l’établissement au brevet de collège et suivre tous les soirs, la demi-heure de leçon de vie, dispensée par le CPE.

Par chance et par un travail assidu, je répondis à leur attente, en décrochant une excellente moyenne à l’examen. Ce succès me revivifia et le soutien de monsieur LI WON KI me redonna confiance en l’avenir. Dès cet instant, une harmonie phénoménale envahit mon être et embellit mon existence.

Malheureusement, dès les années de lycée, cet harmonieux équilibre fut à nouveau compromis. Avec le temps, l’ampleur des évènements abolit ma profonde conviction d’une évolution positive définitive possible. Dans ces moments critiques, la robustesse de mon tempérament m’évitait de succomber à la dépression. Néanmoins, deux circonstances d’un aspect incohérent et toujours dans le cadre scolaire changèrent ma perception naïve de la vie ; celle où j’étais en classe de seconde générale et l’autre en première de la section des sciences économiques et sociales du lycée Leconte De Lisle, au Butor. Cet établissement est constitué d’un immense et ancien complexe scolaire, situé dans le quartier de Sainte-Clotilde. En hommage à un célèbre poète réunionnais, monsieur Charles Marie René LECONTE dit Leconte De Lisle, qui avait fréquenté l’établissement d’origine, le collège Bourbon, au temps où il se prénommait le collège Royal, dans ses premières années, puis Leconte De Lisle et regroupait les deux niveaux du second cycle, jusqu’à la construction de ce lycée qui fut baptisé à cette effigie. Il pouvait accueillir jusqu’à 5 000 lycéens, mais en cette rude période du XXIIIe siècle, les classes vides et abandonnées ne se comptaient plus sur les doigts. La pauvreté avait dépassé le seuil du tolérable et les familles ne pouvaient plus répondre, aux coûts de l’instruction de leurs enfants.








Chap. VII

Poussée à Bloc.



En classe de seconde, trois semaines après la rentrée, j’assistai à un cours de physique, lorsque je constatai une erreur, dans l’énumération chimique démonstrative du professeur, au tableau interactif. De bonnes intentions, je ne pus aucunement me retenir d’exprimer une remarque.

  • « Excusez-moi, Monsieur, je crois que vous avez fait une faute à la deuxième ligne de votre démonstration chimique, ce qui fausse le résultat final, commentai-je, d’un ton diplomate.

  • Vous excuser ! Il est hors de question, Mademoiselle, car jusqu’à présent, JE suis le professeur et je vous prie de me parler, sur un autre ton. La politesse s’apprend, objecta l’enseignant, d’une voix coupante.

  • Mais… qu’est-ce que j’ai dit d’impolies ? Tombai-je des nues, en me redressant sur mon siège.

  • Votre vulgarité fera le motif de vos deux heures de colle, grande effrontée, sanctionna-t-il, d’une intonation agressive, Délégués ! Accompagnés immédiatement, Mademoiselle BOYER, chez le proviseur ! Vos parents ont vraiment de l’argent à jeter par les fenêtres, de vous payer des études. Il devrait penser aux œuvres de charité, cela réduirait le problème de la pauvreté et de la famine régionales. »

Sans que quelqu’un ne réagît, alors que toute la classe avait assisté à la scène et entendu les reproches affabulateurs et incohérents de cet homme, le représentant de la classe m’accompagna au bureau du proviseur et du conseiller principal d’éducation du lycée. Sur l’argument que mon professeur ne rencontrait aucun ennui, d’ordre personnel ni privé, pouvant affecter son attitude, le chef d’établissement me déclara fautive, dans cette altercation, mais il m’épargna une sanction disciplinaire, grâce à, une fois de plus, l’intervention subtile du CPE du lycée, monsieur PATEL. Cet incident annonçait le départ d’une série de plusieurs autres facéties, pour lesquelles je sollicitais une complète indifférence, sur le moment. Mon expérience, en matière de difficultés, y était pour beaucoup, même si avec du recul, mes sentiments et mes potentialités intellectuelles s’en trouvaient profondément déstabilisés, jusqu’à mettre en doute l’utilité de poursuivre ma scolarité. Par contre, la présence opportune de cet éducateur qui était évidemment différent de celui qui m’avait soutenu au collège, malgré des similitudes, dans leur personnalité et leur professionnalisme, lors de chaque incident, soulevait une étrange intrigue, dans ma conscience. « Comment fait cet homme pour être toujours au bon endroit et au bon moment, quotidiennement, avec autant de lycéens à gérer ? Pressentis-je, le front plissé de suspicion et le regard dans le vague... Mon facteur chance n’est peut-être pas aussi démuni que je me l’imagine, raisonnai-je, par concision cartésienne, légèrement ébranlée. »

Piètrement, l’année suivante se déroula dans une atmosphère lycéenne aussi confuse, démesurée et irrationnelle. Au début du premier trimestre, le professeur d’histoire me désigna au tableau interactif, pour présenter un rapport sur les évènements historiques du XXe siècle, dossier que nous avions travaillé individuellement, sur quinze jours. Le clavier en main, je notais les dates et les noms officiels des évènements, au fur et à mesure de mon exposition, afin de les entrer, dans la mémoire centrale du système et de les afficher à l’écran collectif. Soudain, cet enseignant d’une colère déplacée, alors que j’abordais la première expédition sur la lune, au 20 juillet 1969, m’affligea une séance d’humiliation déstabilisante.

  • « À l’ère où des astronautes fixent de gigantesques villes orbitales dans l’espace, pour assurer la survie de la planète et où les maternelles de la petite section apprennent à écrire, vous n’êtes pas foutue de m’orthographier un nom, aussi célèbre et populaire. Je crains que vous n’ayez rien à faire, dans un cours de français, du niveau d’une première de toutes sections confondues. Retournez donc sur les bancs d’une bonne classe du premier cycle, de notre bonne vieille ville, l’établissement se fera une joie de vous y accueillir. »

« Punaise ! Songeai-je, simultanément à ses critiques. Il vient de me rabaisser à un niveau infantile d’une débutante, en classe de maternelle. Il est gonflé tout de même ! Qu’ai-je donc mal orthographié ? Réfléchis-je, en contrôlant le tableau interactif. » Je me tournais vers mes camarades qui hissèrent des épaules d’incompréhension, de cette fureur imprévisible. Ma réaction directe se manifesta par une offensive arrogante, néanmoins, dépourvue de vulgarité.

  • « Vous m’excuserez, Monsieur, mais si ma tête ne vous plaît pas, il faut s’en prendre à mes parents, je n’y suis pour rien moi, ce défaut incombe à mes géniteurs.

  • Mademoiselle, quittez ma classe ! immédiatement ! Ordonna-t-il, d’un ton autoritaire. »

Sur ces mots, je sentis ma colère montée, en une bouffée de haine à l’état pur. Avec beaucoup d’efforts, je contins une réplique irritée.

  • « Avec tout le respect que je vous dois, Monsieur, je ne quitterais votre cour, qu’après que vous m’auriez dit, de quel nom il s’agit. Du premier sur la sixième ligne, indiqua-t-il, avec exaspération. »

Un silence lugubre régnait dans la pièce. Je contrôlais les patronymes et les prénoms que j’avais écrits et me tournais vers ma meilleure amie qui remua la tête, les sourcils froncés d’interrogations. « Il y a une faute ou pas, marmonnai-je, entre les dents. » À cet appel au secours, elle accentua son discret mouvement de négation. Les autres élèves l’imitèrent devant chacun des noms, au moment où je les fixai du regard, les uns après les autres, à l’insu du professeur qui était plongé, dans ses dossiers professionnels, de ce premier mois de rentrée scolaire. À ma grande satisfaction, je ne trouvai aucune erreur, dans celui qui était incriminé ni dans les autres.

  • « Je n’ai rien trouvé de mal orthographié, Monsieur, avisai-je, d’un air confiant.

  • Sortez de mon cours ! Ordonna-t-il, avec hargne. »

Transie d’effroi, je regagnai ma place et rangeai précipitamment mes affaires, pour quitter la pièce, quand monsieur PATEL, le conseiller principal d’éducation qui se tenait, par un pseudo-hasard, près de notre salle, surgit pour interrompre ce pesant mutisme général et régler ce malentendu. Même avec les circonstances atténuantes que lui accorda ce conciliateur, je restai persuadé que la réaction de cet homme ne visait qu’une personne, moi. D’ailleurs, le temps confirma ma conviction, par des persécutions permanentes de ce professeur, alors que d’autres élèves avaient des difficultés bien plus critiques que les miennes ou en provoquaient inlassablement. Heureusement, mon relativisme découlant des expériences précédentes contribua, efficacement, à ma gestion de chaque nouvelle situation, sans pour autant retenir la versatilité de mes états d’âme, lorsqu’elles m’entraînaient, parfois, à donner du crédit à toutes ces histoires de sortilèges, dont plus d’un y adhérait. Ces dernières avaient bercé mon enfance, malgré l’attention que me portait ma mère, pour m’en protéger et m’amenaient, dans ces moments-là, à me questionner sur tous mes ancêtres. « Est-ce que je n’appartiendrai pas à la descendance d’une famille malchanceuse ? ... Je crains que oui. D’ailleurs, je ne vois malheureusement pas, mais vraiment pas, d’autres explications plausibles... Pff !!! Quelle “chiasse” ! (Poisse !) Jugeai-je, à ce stade. » Cette expression associée à un échec quelconque et typiquement locale revenait souvent, dans mes pensées quotidiennes du moment. D’autant plus que chacune d’entre elles réveillait des souvenirs enfouis plutôt désagréables, notamment celui de cet horrible personnage qui était apparu derrière la fenêtre de ma chambre, en maugréant des menaces qui restaient toujours un mystère. Une fois de plus, je constatai l’importance de l’éducation que ma mère m’avait inculquée, et malgré son absence moralisatrice et psychique actuelle, ma conscience me ramenait à ma sérénité cartésienne. Je me réfugiais jusqu’à m’enfoncer, parfois, dans ce que j’appelais mon havre de paix, la musique et le chant. D’autant plus que ceux qui eurent l’occasion de m’écouter appréciaient sincèrement mon talent et m’encourageaient à persévérer, notamment ma grande amie Sophiana qui m’avait fait la remarque que depuis cette affaire d’astronaute, j’avais la tête dans les étoiles et les pieds sur la lune. Neil ARMSTRONG était ce fameux personnage mal orthographié que je gravais définitivement et sans rancœur, dans ma conscience et au fond de mon cœur, pour avoir été, Edwin ALDRIN et lui, les pionniers de l’espace, par où la Terre retrouvait progressivement son salue et sa dignité, il y a peu d’années.

Hormis ma scolarité mouvementée, mon besoin d’indépendance et d’affirmation de soi apparut en cette période de fin d’adolescence. Ma vie entière m’y avait précocement conduit. Afin d’y répondre, je militais illégalement avec un groupe de lycéens, contre l’injustice et ce qui s’apparentait à de l’indifférence communautaire et aux racismes. Notre association s’appelait « Au petit bonheur ». Notre siège social se situait dans l’appartement d’un de nos camarades, Swann PICARD, un rouquin que la nature n’avait pas beaucoup gâté, sur le plan beauté, par contre, il était doté d’un charme et d’une intelligence exemplaires. Ce dernier vivait tout seul, comme un chef, dès l’instant où ses parents furent mutés en Australie, pour des raisons professionnelles. C’était un élève plutôt studieux. Souvent, je passais mes nuits en sa compagnie, afin de résoudre également des problèmes, mais d’ordre scolaire. Dans le cadre de notre association humanitaire, nous défendions la cause des plus petits et des plus faibles, dans cette société à deux niveaux opposés et très flagrants de vie sociale. Cependant, nous nous heurtâmes très vite à l’obstacle financier qui s’avéra la cause principale de nos médiocres résultats. Néanmoins, cette vie trépidante et excitante, ainsi que cette possibilité de s’exprimer dans l’anonymat, me convenaient humblement. Malheureusement, lors des arrestations massives des forces de l’ordre, à la suite d’une dénonciation calomnieuse et odieuse, les documents retrouvés portaient ma signature, alors qu’à aucun moment, je ne l’eus apposée. Ces dossiers transcrivaient distinctement la composition de notre mouvement, ainsi que notre but et nos actions. Et pour aggraver la situation, des papiers qui auraient été dérobés, dans différentes hautes administrations de l’île se trouvaient en notre possession. Ils constituaient des pièces à conviction, entre les mains des officiers de police, dont les soupçons m’étouffaient et ne m’accordaient aucune présomption d’innocence. Ces écrits me désignaient à la fonction de présidente du mouvement. Et lorsque je dormais chez Swann, nous traversions la propriété du Conseil général, pour nous rendre à l’arrêt des rares bus menant au lycée. Par peur des représailles de ses parents, mon ami refusa d’avouer sa présence, lors de nos passages, dans ce lieu administratif et privé. Les témoins ne pouvant fournir un portrait-robot de la personne qui m’accompagnait pour alors, j’étais, aux yeux de tous, la coupable idéale. Par bonheur, certaines connaissances, dans les relations privées de ma mère, spécialisées dans le domaine juridictionnel, me sortirent des griffes de cette décadence judiciaire, selon laquelle je risquais un mois d’emprisonnement ferme, dans le quartier des jeunes du pénitencier de Domenjo, assorti d’une année, dans une maison pour adolescents en difficulté, après avoir purgé ma peine. Ils réussirent à classer cette affaire, sans l’ombre d’une répercussion possible sur mon avenir. De ces expériences, je rédigeai un titre, dont les paroles remettaient nos convictions en cause, tout en laissant un message d’espoir, sur une conception plus juste de la vie et que je nommai « Black, blanc, beur, un bleu blanc rouge dʼhonneur. » Je me souviens encore de cette nuit à écrire. C’est fou comme je me sentais bien, malgré de telles épreuves déstabilisantes de la vie. En pleine rédaction, mon portable vibra. C’était Swann qui m’avait envoyé un SMS. « Cc c moi ! Dsl pr ma lacht, je ne pvs ps fre autrmen, mé sche qe ta tjrs 1 plas ds mon Keur. Mon dernié titr, jte le dédi, il s1titul 1 ami come toi. En atadan davoir dté nvell, Bizs é @ +. » (Coucou, c’est moi ! Désolé pour ma lâcheté, je ne pouvais pas faire autrement, mais sache que tu as toujours une place dans mon cœur. Mon dernier titre, je te le dédis, il s’intitule une amie comme toi. En attendant d’avoir de tes nouvelles, bisous et à plus.) Dans les secondes qui suivirent, je le répondis : « cc mon Swanni, chui pa faché. Voudré tvoir pour 1 arrangeman de mon R & B, blac, blan, beur, 1 bleu blan rouj dhoneur, é pour un beuf de réconcil avek ta zic et la miène. Jtm, Bizs é @ +. » (Coucou, mon Swanni, je ne suis pas fâchée. Je voudrais te voir pour un arrangement de mon R & B, black, blanc, beur, un bleu blanc rouge dʼhonneur et pour faire une méga fête musicale de réconciliation, avec ta musique et la mienne. Je t’aime, bisous et à plus.) Aussitôt, il me déclara : « OK pour blac, blan, beur, 1 bleu blan rouj dhoneur, é chac nui du rest de ma vi si sa te di, lol ! Jtm ossi. J@riv dan 2 min. Ton ami Swanni. » (D’accord pour black, blanc, beur, un bleu blanc rouge dʼhonneur, et chaque nuit du reste de ma vie si ça te dit. Je t’aime aussi. J’arrive dans deux minutes.)

Fidèle à ses promesses, Swann se pointa dans la soirée. Ma mère dînait chez un de ses amis d’enfance. Il pénétra discrètement dans le jardin de notre demeure, avec sa guitare et me fit son mea-culpa, d’une voix romantique et mélancolique, sur son chaleureux titre « une amie comme toi » :

  • « Dans le jeu, la vie, le hasard. S’prendre pour Dieu, défier les enjeux.

Mais par-dessus tout, j’le dis malgré tout. C’est précieux, une amie comme toi.


Je n’ai pas toujours été celui que l’on croit. J’ai dû paraître à tes yeux, digne de foi.

Mais la vie parfois, détourne tous nos choix. Même si nos désirs résistent aux désarrois.


Dans le jeu, la vie, le hasard. S’prendre pour Dieu, défier les enjeux.

Mais par-dessus tout, j’le dis malgré tout. C’est précieux, une amie comme toi.


Je n’ai pas toujours été celui que l’on voit. J’ai fui bien plus souvent que tu ne le crois.

Devant le danger, je ne peux pas rester. Même pour secourir mes amis en danger.


Dans le jeu, la vie, le hasard. S’prendre pour Dieu, défier les enjeux.

Mais par-dessus tout, j’le dis malgré tout. C’est précieux, une amie comme toi.


Je n’ai pas été celui que l’on entend. Pour répondre à mes fautes, à mon engagement.

J’regrette avant tout de n’y avoir songé. De me dresser contre mes peurs bien ancrées.


Dans le jeu, la vie, le hasard. S’prendre pour Dieu, défier les enjeux.

Mais par-dessus tout, j’le dis malgré tout. C’est précieux, une amie comme toi. »

Émue, j’étais descendue entre-temps et lui avais ouvert la porte. Dès qu’il eut gratté sa dernière note sur sa guitare, il me blottit dans ses bras et entra. Excité de nous être réconciliés, il prit entièrement en charge l’adaptation musicale de mon rap, converti dans un groove solidaire. « Black, blanc, beur, un bleu blanc rouge dʼhonneur » nous prenait la totalité de nos heures nocturnes. Ces vers musicaux qui se chantaient telle une interprétation d’un R & B engagé revivifiaient mon moral, dès que Swann me l’interprétait avec ses amis, à l’instar d’un artiste confirmé, pour se faire pardonner de sa désolidarisation et de son ingratitude, lors de mon arrestation. Emportée par la mélodie, j’adaptais le groove de mon organe vocal aux refrains, afin de m’imprégner de cette vision positive de la vie et de laisser la musique guérir ma conscience, ravagée par le stress. Elle disait :

  • « Black, blanc, beur. Nous avons dans le cœur, un bleu blanc rouge dʼhonneur, un passé de douleur, une vie de frayeur.

Black, blanc, beur. Nous vivons dans la peur, la peur des erreurs, des lois et des dictateurs.

Black, blanc, beur. Nous n’sommes plus des dormeurs, plutôt des travailleurs, parfois mêmes chanteurs.


Ose et tu verras (tu verras). Rien que pour une fois (pour une fois). Dans ton ciel bleu, le soleil brillera. Ose et tu verras (tu verras). Rien que pour une fois (pour une fois). Pendant tes nuits, une étoile scintillera.


Black, blanc, beur. Garde au fond de ton cœur, une pointe de lueur, d’une vie bien meilleure

Black, blanc, beur. Nous serons tous à l’heure, pour gagner le bonheur, bien avant que l’on meure.

Black, blanc, beur. Nous donnons d’la chaleur, et nous offrons des fleurs, à ceux qui sont en pleurs.


Ose et tu verras (tu verras) Rien que pour une fois (pour une fois). Dans ton ciel bleu, le soleil brillera. Ose et tu verras (tu verras). Rien que pour une fois (pour une fois). Pendant tes nuits, une étoile scintillera. »

Nos soirées s’achevaient dans une explosion de joie juvénile, mais d’une innocence désirée et librement vécue. Notre association, « Au petit bonheur » avait non seulement survécu à nos expériences malchanceuses, mais elle mʼinspira le titre de sa chanson emblématique. Puis, en fin dʼannée, avec beaucoup de chance, je réussis brillamment mon baccalauréat de français, en juin 2231. De plus, cette chanson fut retenue, pour inaugurer la fête lycéenne de fin d’année. Je profitai de cette opportunité, dans le but de la clore, avec mon premier titre, « vivre en paix ». Mon essor après un parcours aussi chaotique redonna de l’espoir à ma mère, pour sortir de son état dépressif. De ce fait, elle se rapprocha de moi, afin de me soutenir, dans la poursuite de mes études. Un peu plus tard dans la nuit de cette journée mémorable, elle porta un toast à mon succès.

  • « Tu sais, ma fille, je suis extrêmement fière de toi, gratifia-t-elle, les pupilles dilatées d’exultation. J’ai souvent été absente de ta vie ces derniers mois, sache que dorénavant, je vais me rattraper, confia-t-elle, d’une voix teintée de regrets.

  • Merci, maman, je ne t’en veux pas, tu sais, donc c’est inutile d’avoir des remords du passé, rassurai-je, d’une intonation attentionnée. Malgré tes nombreuses absences, nous ne nous sommes jamais séparées et nous sommes liées pour la vie, car même à mes moments les plus critiques, tes conseils ont toujours été dans mes pensées et m’ont toujours aidée, à me sortir des situations exécrables.

  • Alors, fais-moi plaisir, retient ce qui va suivre, instilla-t-elle, d’un ton rasséréné. Si pour une raison quelconque, je devais replonger dans le désespoir et la dépression, et t’abandonner devant les difficultés, sache que tout obstacle est un tremplin.

  • C’est-à-dire ? Influençai-je, les yeux pétillants d’envie, d’en connaître davantage.

  • C’est-à-dire ? C’est-à-dire, que quand tu te sens ou te trouves dans un contexte de vie la plus démunie en facteur de réussite, c’est là qu’il faut s’accrocher, c’est là qu’il faut utiliser le mal que l’on te procure à bon escient, c’est-à-dire dans le but de servir tes intérêts, voire ceux des luttes que tu mènes. Il y a toujours du bon, dans le mauvais. Il faut pouvoir l’isoler pour choisir et prendre une directive adéquate et efficace. Lorsque l’on te promet l’échec, c’est là qu’il faut redoubler d’efforts pour défier leurs intentions malsaines, te prouver tes capacités à les vaincre et parvenir à ta réussite. Lorsque quelqu’un ou un groupe d’individus, censé t’aider dans ton parcours, ne te porte pas dans leur cœur. Si au lieu de passer sa ou leur route, s’ils sont plusieurs et qu’ils se motivent à faire de ta vie un enfer, par des actions directes ou détournées, pour je ne sais quelles raisons et causes directes ou détournées aussi, dans leur vision de bornés à la limite de la perversion ou carrément dedans, pour satisfaire un besoin d’offrir de la méchanceté gratuite, perverse ou radicale, ou par ambition et intérêts concurrentiels personnels ou idéologiques, comme l’obscurantisme, c’est là qu’il faut puiser ta force au fond de toi. Ces gens s’évertueront toujours à parsemer ton existence d’obstacles et trouver de quoi justifier leurs actes, en te poussant à l’erreur ou en falsifiant ton existence réelle. Surtout s’ils ne découvrent rien ou peu de choses à te reprocher ou pour te démolir en société, il te faudra du courage pour exploiter cette force, afin de mener toute seule ton combat, pour décrocher n’importe quel objectif que tu te seras fixé et te faire ta place, dans cette société en décadence, meurtrie et meurtrière, avant de réclamer justice des préjudices que toute personne t’aurait fait subir. Pourquoi ? Me demanderas-tu, parce que l’on aura beau dire non, mais la position sociale associée à la réussite y jouera presque toujours en faveur de tout individu, même dans les situations les plus tordues. Si je prends l’exemple de certains viols, les femmes n’ont pas été entendues ou reconnues, et prises en charge, après leur audition. Quelques-unes finissent par tuer leur bourreau ou se suicident, surtout lorsque la situation se retourne contre elles. Tous ces dénis et leurs conséquences effrayent les victimes passées ou actuelles qui choisissent de se taire. C’est un choix terrifiant de se taire. Il crée des polémiques, mais il faudrait déjà prévoir d’autres verdicts qu’un emprisonnement de ces victimes. Sous prétexte qu’il est interdit de se faire justice tout en étant confrontée à des injustices, par les faits et l’état de droit, ces femmes transformées en justicières sont jugées comme des criminels. Il y a un contresens à l’éthique humaine, voir au droit de lʼhomme. Tout est corrompu dans notre système judiciaire et politique actuels, bien plus qu’à travers ces derniers siècles. Donc, il faut vraiment agir après réflexion et recul, tant qu’une occasion ou le moindre laps de temps se présente. Cela s’appelle le lâcher-prise, sans baisser ta garde ni ouvrir des brèches à tes antagonistes, pour la préservation de ta vie, car ceux qui te malmèneront et placeront toujours la barre plus haute, dans leur jeu de destruction, jusqu’à ton épuisement total et peut-être même ta mort. Tant qu’à y dépenser beaucoup d’énergie, autant le faire intelligemment et rebondir, pour gagner sur quasiment tous les fronts. Et cette force-là, tu l’as en toi, tu es jeune et remplie de ressources, tu es une boule d’énergie, un magnifique rayon de soleil, dans ta vie et celle des autres, avec ton courage et ta détermination inébranlable, donc tu y parviendras. Certes, il m’incombe de te l’avoir transmise, mais toi, contrairement à moi, tu as le dynamisme de la jeunesse qui, aujourd’hui, me fait défaut.

  • Voyons, maman, tu n’es pas si vieille que tu l’avances, tu traverses particulièrement un mauvais passage, dans ton existence, tu la retrouveras ta pêche, rassérénai-je, d’une inflexion convaincue. D’ailleurs, ta dextérité m’étonne pertinemment. J’ignorais que tu détenais de telles connaissances et de tels vocabulaires, sans pour autant remettre en doute ou en cause ta propre expérience de la vie. Ne t’inquiète pas de trop, ma petite maman, ta santé se rétablira. “Pourquoi a-t-on appelé notre planète : Terre des hommes ? Parce que c’est impossible de faire : Taire des femmes”. MDR ! La connaissais-tu cette blague ? »

À cet humour, ma mère avait tonné d’un rire communicatif. À peine si elle eut entendu la suite de ma communication. J’en étais pliée. Il faut dire que nous étions sous l’emprise d’une hilarité chaleureuse qui remontait du ventre, comme un geyser s’élève du centre de la Terre, avant de retrouver nos esprits.

  • « Non, je ne la connaissais pas, déclara-t-elle.

  • Cette blague date du XXIe siècle, précisai-je. Elle résume en quelques mots la source de nos difficultés, de notre condition humaine, de l’ambition principale de ceux qui veulent nous réduire à rien, en touchant à notre intimité, notre intégrité et notre amour propre. Alors, se taire n’est pas la bonne solution, car d’autres femmes ou enfants sont en danger. À mon avis, toute victime doit se préparer à ce que la situation tourne mal et réfléchir à comment rebondir dans ces circonstances, avant de réclamer justice, même si elle est assistée par des associations de défense de victimes, lesquelles, par le passé, ont montré des failles, face à des adversaires, dont la position sociale et la perversion leur ont été bénéfiques.

  • Exactement, je confirme, concéda ma mère. C’est une garantie de pouvoir se relever de ces terribles crimes et agressions sexuelles subis. J’ignore si l’on parviendra à rendre impossible de faire taire toutes les femmes, mais toi, au moins, j’ai la certitude que tu n’as pas ta langue dans ta poche. Et mes soucis sont insignifiants par rapport à ces drames. Alors, peut-être bien que je vais m’en remettre, surtout avec tes plaisanteries, reprit-elle, d’un ton apaisé. Sache, tout de même que je me suis instruite à travers mes nombreuses lectures, dès l’instant où j’ai compris que tu étais différente de moi, dès tes premières années. Je souhaitais pouvoir répondre aux complications, dans la vie de la jeune fille que tu as été, bien téméraire et précoce, mais particulièrement t’être de bon conseil. J’ignore si ma mission a atteint son but, par contre je suis fière de l’adulte que tu es devenue. Sache tout de même que dès l’instant où tu auras atteint le bonheur suprême et que l’envie de le partager jaillira en toi, l’unique personne qui te sera toujours indispensable et fidèle, c’est toi-même. La générosité est une qualité que l’on se doit de garder sous gestion de notre conscience. Si chacun aidait une personne, alors tout le monde serait heureux et épanoui. Mais pour l’instant et en attendant ton évolution, finissons nos verres et passons à table, tu dois être très fatiguée de ta journée et un peu de repos, un peu plus tôt, te fera certainement du bien, persuada-t-elle, le visage illuminé d’un sourire de satisfaction de mes compliments et du dénouement de notre conversation.

  • Tu es la plus merveilleuse et magnifique mère du monde, et un exemple de respect à en faire pâlir plus d’un et d’une, louai-je, d’un ton sincère et profond. Et ne t’inquiète pas trop, je tenterai de prendre du recul, face aux difficultés qui se présenteront dans ma vie, et d’analyser les circonstances qui sont en ma faveur, avant de prendre une décision.

  • Je n’en doute plus une seconde, tu sauras être à la hauteur d’y répondre, reconnut-elle, d’un air serein. Le principal est de faire ce que l’on peut, aussi bien que l’on souhaite qu’il en soit, dans une vision globale humaniste. »

Le crépuscule nocturne prit ses quartiers sur cette note de complicité affective et des projets de villégiature, en attendant la prochaine rentrée scolaire. Ma dernière année de lycée fut une période moins mouvementée, à l’exception d’une rupture avec mon petit ami, le matin des premières épreuves du baccalauréat de Sciences Économiques et Sociales, et de l’altercation avec des brigadiers de la Gendarmerie nationale, en y sortant. En possession d’un permis de programmation de conduite accompagnée, j’empruntais parfois, le cabriolet de ma mère, pour me rendre à l’école. C’était un ancien modèle d’une marque de luxe qui n’était pas équipé, à l’instar de toutes les voitures de ces dernières décennies, d’un programme électronique et virtuel de conduite accompagnée. Ce système reliait chaque nouveau conducteur, âgé de 16 ans, à une centrale d’auto-école qui leur préconisait de l’aide, pour résoudre l’ensemble des situations problématiques liées à la conduite. Il était conçu particulièrement pour les jeunes entre 16 et 18 ans, ne pouvant bénéficier d’un accompagnateur personnel. J’avais pour alors 16 ans et demi et sans vouloir déborder dans l’occultisme, je ne pus m’empêcher de suspecter cette scène irrationnelle, dans laquelle on m’accusait de faits que je n’avais pas commis. Nous étions au mois de juin 2232. À la sortie de la dernière épreuve de l’examen, je m’engageai dans une rue que j’empruntais habituellement, lorsque quelques mètres plus loin, deux brigadiers de la Gendarmerie nationale me signalèrent de m’arrêter sur le bas-côté de la chaussée. À peine je me fus stationné, que l’un des deux gendarmes qui ressemblaient étonnamment, à l’individu en jaune de mes cauchemars m’adressa la parole, sur un ton très agressif.

  • « Ke, ke, ke ! Encore une femme aux commandes ! Dénigra-t-il, d’un air hautain et sexiste. Y pas idée de rouler dans un sens interdit, devant des fonctionnaires de la force publique, Madame, vous avez des problèmes de vue ou vous vous payez de notre tronche !

  • Vous pourriez être un peu plus courtois, Monsieur, je ne suis pas une délinquante et je reviens tout juste d’un examen, réfutai-je, d’une voix calme et posée, sachant que je circulai en situation illicite, uniquement par rapport à mon permis qui stipulait la conduite accompagnée, par le biais dʼun système virtuel centralisé.

  • Examen ou pas, dans la Gendarmerie nationale, on n’a pas à être courtois, poursuivit-il, en gesticulant dans tous les sens et d’un ton vindicatif. Ce n’est pas notre rôle.

  • C’est bien con ! M’exclamai-je, instinctivement, en toute naïveté et tout en croyant que son collègue fut un peu plus honnête et éclairé, pour régler ce conflit.

  • Vous m’avez traité de con ! C’est ça ! Vous venez de me traiter de con ! M’accusa-t-il, en faisant des allers-retours le long de la voiture.

  • Pas du tout ! Réfutai-je, les yeux éclatants d’angoisse.

  • Vous m’avez traité de con ! J’ai bien entendu, insista-t-il, le visage cramoisi de colère. »

Et sentant le piège qui s’apprêtait à m’acculer contre un mur, j’insistais en lui expliquant le sens de mes propos.

  • « C’est le fait de ne pas pouvoir être courtois, dans la gendarmerie qui est bien con, le fait, mais pas vous, m’innocentai-je, en espérant que son collègue réagisse en ma faveur. C’est de l’ordre d’un problème de communication et de compréhension, rien de plus.

  • Pour moi, ça veut dire la même chose, vous m’avez traité de con. Quittez votre véhicule ! Je vous arrête pour outrage aux forces de l’ordre ! Somma-t-il, d’un air hargneux. »

Refusant de sortir de la voiture, il tira la portière et m’en extirpa par le col de ma chemisette, dont les manches au niveau des épaules et le col se déchirèrent. La brigade de Gendarmerie se situait à peu de mètres de l’altercation. Ils m’y emmenèrent, sans les menottes, pour que je pusse retenir le lambeau de tissu qui me dénudait. Le brigadier qui était intervenu auparavant rédigea, à la machine, un procès-verbal qui n’avait aucune valeur morale et préjudiciable, à mon avis, puisque le sens interdit qui s’avérait être provisoire, pour une raison de travaux n’était pas signalé. Pourtant, cet homme n’hésita pas à lui donner une valeur juridique. Par ailleurs, je passais quatre heures en garde à vue, le temps d’établir des formalités qu’il m’avait prétexté, en refermant la grille à double tour. Mais en complicité, ils quittèrent les locaux pour intervenir sur un accident domestique. Face à cette injustice et à ma solitude, deux grosses larmes tournoyèrent sur les rives de mes joyaux oculaires, avant de se déverser sur mes joues rosâtres, en deux fleuves affluant, jusqu’à l’embouchure de mon menton, pour finalement atterrir sur le sol en béton, de cette prison vétuste et froide. Au bout de cinq minutes, son collègue revint récupérer des clefs qu’il avait intentionnellement oubliées.

  • « Tenez, Mademoiselle, prenez ce mouchoir, séchez vos larmes et respirez un bon coup, m’invita-t-il, d’un ton diplomate et jovial. »

Il gagna son vestiaire et me rapporta une chemise de gendarme, afin de dissimuler ma nudité qui s’étendait, légèrement, au-delà de la surface de mes épaules, malgré mes efforts pour la recouvrir.

  • « Vous savez, sans vouloir heurter votre sensibilité, il faut excuser mon coéquipier, pria-t-il, d’une voix mal assurée et le regard voilé de timidité. Il n’est pas toujours aussi impétueux et cruel. »

Je le fixai de mes mirettes allumées de suspicion et l’écoutai, attentivement, sans réagir à ses propos.

  • « Quoi que vous en pensiez ou que vous fassiez par la suite, sachez que je ne peux, en aucune façon, intervenir en la faveur d’un suspect, quand mon collègue disjoncte de la sorte. Son grade est supérieur au mien, alors, je suis sous ses ordres et personne ici ne les a contestés une seule fois. Il en a tellement bavé tout le long de sa carrière que c’est un tyran qui a le bras long, aujourd’hui. Je pense que vous me comprenez. »

Son visage convulsé de terreur et sa manie de surveiller constamment l’entrée me convainquirent de sa bonne foi. Sa désapprobation avec de tels agissements était honnête. Au bout de quatre heures, ils me libérèrent sans chefs d’accusation ni de poursuite.

  • « J’espère que vous ne divulguerez pas ce que je vous ai dit, mon travail en dépend, reprit ce même brigadier, d’un air inquiet, en m’accompagnant à ma voiture. Après notre entrevue, j’ai longuement réfléchi. Vous ne méritiez vraiment pas cette séquestration. En conséquence, au-delà de mon hésitation, j’ai profité d’un moment de répit de mon collègue, pour le ramener à la raison. Il ne pouvait que céder, car il a reçu un appel de sa femme, lui annonçant que sa fille est malade.

  • Ne vous faites pas de soucis, je ne dirai rien, absolument rien, à personne, je n’y gagnerai rien d’autre qu’une perte de temps, d’énergie et peut-être d’argent, rassurai-je, d’un ton déconcerté, et vous n’y êtes pour rien. Je dois à présent réfléchir sur la poursuite de mes études, en évitant les pièges de la vie. Comme dirait un sage, mon vaisseau peut rentrer au port, par mer calme. C’est ce que je vise, même s’il rentre sous une tempête et que les dégâts sont préjudiciables, par la suite. C’est vrai qu’en fin de compte, j’aurais tout perdu, mais j’aurai fait l’effort d’essayer, d’aller jusqu’au bout de mes ambitions. Merci, de m’avoir éclairci la situation, je me doutai un peu que vous ne pouvez soutenir une attitude si machiste, d’un psychopathe en puissance qui fait du zèle. Les honnêtes gens se reconnaissent entre eux.

  • De rien, Mademoiselle, vous avez une belle philosophie de capitaine maritime et des projets ambitieux de réussite personnelle, ce qui signifie que nous nous croiserons plus en ce lieu, déduisit-il. Ce qui me semble un bon départ. Bon vent !

  • Merci, à vous aussi, allouai-je, en ouvrant la marche, vers la sortie. »

Je pus enfin quitter ce lieu. Par contre, mon véhicule fut mobilisé. Je devais trouver un moyen pour rentrer chez moi. « Stp, Swanni, vi1 me ch ché lé keufs, envoyai-je, sur mon portable, à l’abri de tout regard. (S’il te plaît, Swanni, viens me chercher chez les flics ?). » Dans les secondes qui suivirent, la douce sonnerie de ma messagerie retentit à son plus faible volume. « Lékl, lé pandors ou lé poulés, dan kel boutik é keski c pa c ? (Lesquels les gendarmes ou la police, dans quelle brigade et qu’est-ce qui s’est passé ?) » « Texplikeré + tar, chui dan la boutik dé pandors 2 st clotde. » (Je t’expliquerai plus tard, je suis dans la brigade de Gendarmerie de Sainte-Clotilde.) « Dak, j@riv tds. » (D’accord, j’arrive tout de suite). Swan arriva, me réconforta en me ramenant chez moi. Une fois de plus, à la tombée de la nuit, mon relativisme m’amena à conclure, que chaque problème surgissant dans ma vie avait un lien direct, avec des rencontres d’individus, sans scrupules, malhonnêtes et sans valeurs morales, en quelque sorte, et dans un langage familier, sur des cons. « Dans tous les corps de métiers, même chez les sans-emploi, on en trouvait, conçus-je, pour me réconforter davantage. Entre un con, une peau de vache, un pervers ou manipulateur narcissique, un roublard et bien d’autres termes, il n’y a que le vocabulaire et les caractéristiques qui diffèrent un peu, mais tous ces mots ne sont que le champ lexical de cons qui ne chercheront à aucun moment de leur vie, à se faire soigner. » Et cette fois, je le pensai et l’assumai vraiment, car il était hors de question de tout généraliser, même si parfois la vie s’acharne qu’à vous montrer son côté sombre et à vous entretenir dans la négativité. Ensuite, je me rassurai et m’apaisai, sachant que par rapport à toutes les catastrophes naturelles qui s’étaient manifestées dans le monde et ceux qui pouvaient encore se produire, je n’occupais sûrement pas la place la plus critique, au plus mauvais endroit et au moment le plus déplacé. La bonne initiative qui résultait de cet incident fut ma démarche chez un concessionnaire, pour équiper le véhicule d’un système virtuel de conduite accompagnée. De cette mise au point sur ma vie et mes ennuis naquirent une complainte et un titre de variété, lesquels je conservai dans mes archives spéciales tubes, en DVD-ROM, avec l’objectif de contacter prochainement un studio professionnel d’enregistrement. Dans la catégorie populaire, elle s’intitule « ne jouez pas avec le feu » et arbore un rythme plutôt entraînant et empreint d’humour. Je l’entonnais chez moi, lorsque je traversai des moments difficiles, après de malencontreuses rencontres ou des préjudices inconcevables, au lieu de toujours me justifier inutilement. Dans la catégorie variété, le reflet de mon assurance se traduisant sur chacune des lignes de mes vers, le titre « une actrice de classe » que j’interprétais, durant tous les moments où je sentais le besoin de me tonifier physiquement et psychologiquement, en découla. D’autres occasions se présentèrent également, notamment des soirées chez mes fidèles amis qui réclamaient mes œuvres et ceux de Swann, en a capella. Sans hésitation, j’accrochais dans le micro et chantais, avec ferveur et émotions, le dernier d’entre eux :

  • « Comme un grand feu qui s’embrase un soir et rassemble tout autour des amis.

Je cherche la moindre étincelle qui enflammera ma vie.

Comme un voilier dont les voiles se plient, sous la tempête, tel est son défi.

Je me bats contre les ennuis qui empoisonnent ma vie.

Être à sa place au bon jour et au bon moment. Être à sa place au bon jour

Et au bon endroit

Être à sa place et en quelques mots. Ne pas fuir, ne pas rester de glace.

Être à sa place au bon jour et au bon moment. Être à sa place au bon jour

Et au bon endroit

Être à sa place et en quelques mots. Dans sa vie, être une actrice de classe.


Comme un volcan qui explose de rage, puis s’écoule jaune et rouge de colère.

Même à l’usure je tiens bon, et j’en suis fière.

Comme une femme skippeuse vainqueur dont le sourire reflète la victoire.

Qui n’a pas rêvé certains soirs, de jour de gloire ?

Comme une profonde conviction en nous qui mène un jour à y croire pour de bon.

Comment n’pas aimer cette chanson qui nous donne une raison ? »

Et, je repris chaleureusement le refrain d’être à sa place... en deux fois.

  • « Une autre ! Une autre ! Une autre... ! M’encouragèrent mes fans, avec ferveur et conviction, à la fin de ma prestation. »

Sans me faire prier davantage, je repensai à ces expériences relationnelles malsaines et récentes, pour renforcer l’humour que dégageait la complainte populaire qui suivit et qui disait :

  • « À force de jouer avec le feu. Ceux qui s’amusent à ce petit jeu. Croient griller tout l’monde sauf eux. Faudrait pas qu’ils s’prennent pour des dieux.

Il faut leur dire que la bêtise, elle doit servir de leçon. C’est pour grandir, et puis mûrir, et se sentir moins con. (Bis)


À force de rire d’la vérité. Il faudrait tout d’même espérer. Qu’ils puissent un jour réaliser. Qu’ils sont des cas désespérés !


Il faut leur dire que la bêtise, elle doit servir de leçon. C’est pour grandir, et puis mûrir, et se sentir moins con. (Bis)


À force d’émettre des vérités. Ça m’retombrait p’être sur le nez. Mais s’il n’y a personne pour le chanter. Comment voulez-vous progresser ?


Il faut leur dire que la bêtise, elle doit servir de leçon. C’est pour grandir, et puis mûrir, et se sentir moins con. (Bis) »

Grâce à ma philosophie et à mes nombreuses lectures psychologiques, tous les obstacles dans ma vie ne constituaient plus un frein, à mon évolution. Je constatais avec une immense satisfaction mes capacités de résilience. Ma réussite aux épreuves du baccalauréat de Sciences Économiques et Sociales en fut une nouvelle preuve incontestable. D’ailleurs, cette année se montra fructueuse en bacheliers. De ce fait, le directeur, monsieur ROMANO, innova la remise des diplômes, par un rassemblement festif des élèves, des parents et du corpus des enseignants, dans le réfectoire du lycée. Dans l’excitation de toute nouveauté, les lycéens attendaient le discours d’ouverture du proviseur qui s’apprêtait à annoncer les résultats d’obtentions aux épreuves, derrière son micro.

  • « Chers lycéens et lycéennes, et chers parents, bonjour ! Les enseignants et moi sommes très heureux de votre présence aujourd’hui. Il en va de soi que cette année se révèle exceptionnelle en matière de réussite au baccalauréat. Dans l’ensemble des sections confondues, personne n’a été ni recalé, ni au rattrapage. Inutile de vous parler de mon émotion. Je tenais à vous féliciter tous, d’avoir fait honneur au lycée semi-public de Leconte De Lisle qui, s’il eût été vivant, serait à l’apogée du bonheur d’un tel score, malgré, malheureusement, notre minable et pitoyable effectif. Avant de vous interpeller, pour remettre à chacun d’entre vous votre diplôme. Je voudrais remercier et ovationner particulièrement une élève, dont le courage, l’assiduité et l’esprit de compétition semblent, à mon avis, un des facteurs déclencheurs de cette ascension à la réussite collective de notre lycée. Il s’agit de Mlle Christine BOYER que je sollicite d’ailleurs, en premier sur l’estrade, pour recevoir son titre, avec la mention très bien, les félicitations du jury et la médaille d’honneur de l’établissement, pour ses performances exceptionnelles et inégalables, dans la section des Sciences Économiques et Sociales. »

À peine eut-il prononcé mon nom qu’une extase enivrante me coupa du reste du monde. Pendant ce temps, tous les regards se braquaient dans ma direction. Dans l’attente de ma réaction, le proviseur réitéra son interpellation.

  • « Que se passe-t-il ? Notre mascotte cérébrale serait-elle absente ?

  • Pas du tout ! Rétorqua ma mère, en me secouant, délicatement, par un bras. Christine ! C’est à toi !

  • Hein ! C’est à moi ! M’ébahis-je, en observant mon entourage.

  • Venez, Mademoiselle, invita le proviseur, d’un ton attentionné. »

Je me levai timidement et me dirigeai vers le podium, les joues cramoisies d’embarras. Lorsque j’y parvins, le proviseur m’offrit une poignée de main solennelle, en renouvelant ses compliments, puis me remit un cadre doré, dans lequel se trouvait le carton formel du diplôme. Monsieur PATEL tenait une chaîne assortie d’une médaille à l’effigie du lycée, le portrait du célèbre poète réunionnais, monsieur Charles Marie René LECONTE, dit Leconte De Lisle. Dès que j’eus pris mon tableau, il m’accosta et enfila la chaîne à mon cou, en m’adressant un clin d’œil de complicité affective. Un frisson de satisfaction parcourut chaque centimètre carré de ma peau. Ensuite, un sentiment de familiarité, envers cet individu me tint, dans une suspicion embarrassante qui se refléta sur mon visage, lors des photographies des journalistes et se manifesta dans ma voix, à l’instant où je remerciai tous les professeurs, le proviseur, lui-même, conseiller principal d’éducation et l’ensemble du personnel du lycée. Celle-ci s’atténua, au moment où je rejoignis mes camarades qui manifestèrent leur joie débordante et leur intérêt excessif, devant l’ovation que l’ensemble des enseignants m’octroyèrent, avant de regagner ma place. Cet évènement me vivifia et s’immortalisa dans mes souvenirs. Il semblait tourner définitivement cette page irrationnelle de ma vie. Pour parfaire à mon divin bonheur, ma mère m’offrit un séjour en Angleterre. Durant ces deux mois de vacances, je me transformais en une belle et intelligente jeune fille. J’étais accueillie dans une famille de magistrats, d’une réputation internationale. Consciente de ma chance, je profitais de cette expérience, pour perfectionner mon anglais et apprendre les facettes de leur métier. Leur influence orienta profondément mon choix professionnel, dès mon retour.

En septembre 2232, inscrite en première année de faculté de Droit, je profilai une brillante carrière d’avocate et en parallèle, pour mon compte personnel, je fis lancer la production d’un album numérique qui retraçait tout mon talent de chanteuse. Mon ami Swann avait choisi de poursuivre ses études à des kilomètres de son île, en Australie. Nous nous étions promis de ne jamais nous quitter, or, le destin en avait profilé autrement, en nous laissant pour seul moyen de contact, un portable dont l’option SMS préenregistrés nous offrait un gain de temps, dans nos envois. Les photos que nous échangions nous permirent de constater nos incroyables changements physionomiques et physiques. En dépit de mon visage de femme enfant, je subis une transformation complète, physique et vestimentaire, plutôt coquette et féminine, en passant du jean slim au petit tailleur d’été. Ma vie prenait une direction conforme à mes attentes et à mes rêves. L’irrationalité l’avait définitivement quittée et celle de mon passé s’était engouffrée, dans la nébulosité de ma conscience. Dès la rentrée universitaire, dans le mois d’octobre, ma mère songea à quitter l’île, pour refaire sa vie en Bretagne, avec un charmant Finistérien, dont elle fit connaissance sur un site Internet de rencontre. Sachant que la maison familiale serait trop grande, pour une personne seule et trop coûteuse en entretien, je pris l’initiative de louer un duplex près de l’université, et d’investir dans une petite berline bleu lagon d’occasion. Je programmai ma future vie, en misant sur la recherche d’un emploi de nuit ou de week-end, pour subvenir à mes besoins personnels et payer mon loyer. En outre, ma petite bourse d’études me suffisait, pour manger et régler les petits frais, liés à mon statut d’étudiante. Ma résidence, prénommée Hubert De Lisle, se situait à peu de mètres des amphithéâtres et des laboratoires universitaires, et des salles de travaux dirigés, dans l’Avenue Georges Brassens au Moufia.

Ce quartier constitue un des carrefours administratifs de la capitale de l’île. Le logement, bien entretenu, était suffisamment spacieux pour une personne. Au rez-de-chaussée, il y avait une petite cuisine aménagée et équipée, une salle principale et une entrée où se trouvaient les w.c. et le coin douche. À l’étage, la chambre occupait les trois quarts de la surface et ouvrait sur une salle de bains spacieuse. Je disposais du libre choix des décors. Quinze jours avant la rentrée universitaire, je m’appliquais à personnaliser mon logis, en commençant par le papier peint et la peinture de la pièce à vivre. Dans un premier temps, je me créais une ambiance chaleureuse, simple, peu coûteuse et propice à la sérénité et à la détente, à travers un mariage de couleurs d’un blanc cérusé, marbré d’une teinte beige, pour les murs, des frises orangées esquissant des notes de musique blanche, en bordure du plafond, des cadres d’un ton assorti aux frises, dans lesquels s’exposaient des images d’instruments de musique et de grands chanteurs afro-américains. Sur mes quelques meubles, j’alignai également six figurines emblématiques de ces magnifiques et grands artistes et poètes noirs, lesquelles j’avais dénichées, dans une vieille brocante. Pour assurer l’éclairage, j’installai des spots à variations lumineuses et des étoiles phosphorescentes au plafond de planchers. Je déménageai mes propres meubles, dont les boiseries étaient du tamarin et qui se composaient d’un clic-clac orange, d’une table basse, d’une commode en guise de mobilier télé, d’une table à manger avec deux chaises, d’une chambre complète et qui comprenait un bureau et un vieil ordinateur portable connecté à un haut débit, ainsi que ma collection de pierres, constituée d’une centaine de variétés, dont les précieuses étaient conservées, dans mon coffre-fort à bijoux. Après la pièce commune, j’aménageai ma chambre, dans un cadre très verdoyant d’une nature forestière, sur le mur principal, et les autres faces s’habillaient, somptueusement, d’une belle tapisserie illuminée d’une douce clarté, d’un jaune tendre. Sans étagères, des cartons conservaient mes livres, en attendant de pouvoir investir dans une bibliothèque. Pour la lessive, mon budget me contraignit de me rendre régulièrement chez ma mère. Ce qui nous permettait d’entretenir nos liens, jusqu’à son départ. Cette période s’annonçait comme les prémices de ma cité du bonheur.





Chap. VIII

Consternations Déroutantes.



Ma vie était partagée entre mon cursus universitaire, mon job et la gestion de mon temps libre, ainsi qu’entre mes nombreuses distractions et mes relations affectives, avec mes proches. À ce rythme effréné, le surmenage me guettait. Au-delà de toute attente, une opportunité amicale et pratique apparut. Le doyen de la faculté de droit et d’économie, monsieur GAUVIN, me prit sous son aile protectrice. Ses conseils en ce qui concernait l’organisation du travail et son soutien permanent, dans mes initiatives, s’avérèrent d’une grande utilité et d’une prodigieuse efficacité. J’apprenais mes cours avec assiduité, durant mes créneaux horaires entiers de disponibilités et dans n’importe quels lieux où je m’investissais, parfois même, au-delà de deux heures du matin, en vue de me préparer au premier partiel de janvier. Puis, à la période de Noël, afin de me revivifier, je m’accordai quinze jours de repos, dans ma famille de Haute-Savoie, sans omettre de m’investir, dans la mémorisation de mes cours de droit.

Les jours s’écoulèrent frénétiquement entre mes révisions d’examens et mes vacances de Noël, dans ces montagnes peu enneigées, depuis des siècles. Ensuite vinrent le partiel et les préparations du voyage de ma mère. Juste avant son envol, en un après-midi d’hiver du mois de janvier 2233, nous décidâmes de passer un dernier et long week-end ensemble, pour profiter une dernière fois de notre complicité et fêter mes dix-sept ans. Dans le confort de la maison familiale, nous échangeâmes nos avis sur notre destination.

  • « Que penses-tu d’un agréable séjour, dans un sympathique hôtel de Boucan-Canot ? Stimula-t-elle, derrière le comptoir de sa cuisine.

  • Oh oui, ce ne serait pas mal, accordai-je, d’une voix enthousiaste. Il propose des soirées à thèmes très intéressants le soir. En plus, cette semaine, la météo a prévu un temps plutôt clément, les températures ne descendront pas en dessous des 25° Celsius, c’est exceptionnel !

  • Effectivement, ce sont 15 degrés de plus que les normales saisonnières, alors, je vais faire les réservations, statua ma mère, d’une inflexion teintée d’excitation.

  • Attends un peu, j’ai peut-être, même probablement, ce qui te conviendrait le mieux, anticipai-je, d’un ton réfléchi.

  • Ah oui, et qu’as-tu de mieux à m’offrir ? S’enquit-elle, les sourcils plissés d’interrogation.

  • Que dirais-tu d’un tour de l’île en trois jours ?

  • Ce n’est pas mal non plus, reconnut-elle, les mirettes enflammées d’adulation.

  • Hein ! Pas mal ! Protestai-je, d’un ton indigné, en réponse à son argument contradictoire, à la positivité de l’expression de ses projecteurs oculaires. C’est la plus belle et enrichissante initiative pour quelqu’un qui quitte son île. Tu pourras garder en mémoire un dernier cliché des paysages de ton territoire d’attache, argumentai-je, d’un ton convaincant.

  • Ton idée m’a séduite, je ferais plus que de les garder en mémoire, je vais les filmer et prendre des photos, accepta-t-elle, les prunelles luisantes de joie. »

Soudain, le visage illuminé de bonheur de ma mère s’assombrit.

  • « Qu’est-ce qui te contrarie, maman ? Scrutai-je, les sourcils plissés d’inquiétude.

  • Désolée, je m’en veux profondément de prendre autant sur ta jeunesse et ton temps, confia-t-elle, d’une voix meurtrie.

  • Mais maman, tu ne prends rien du tout, c’est moi qui te donne et sans contrainte ni regret, considérai-je, d’un ton diplomate.

  • Et ton partiel, y as-tu pensé avant de vouloir m’emmener en promenade ? Questionna-t-elle, les mirettes embuées de tristesse.

  • Les épreuves du partiel se sont achevées la semaine dernière, maman, informai-je, le regard brillant d’attention. Les résultats nous seront communiqués dans un mois. Tu peux te rassurer et sécher tes larmes, parce que pour préparer notre escapade, il faut respirer pleinement le bonheur et pétiller de santé ! Clamai-je, en la tirant vers la terrasse ouverte de notre jardin, afin qu’elle inspire l’air frais de l’alizé.

  • Vu sous cet angle, je m’adhère à ton dynamisme, admit-elle, le sourire aux lèvres. Excuse-moi pour mes passages de déprime, ma fille.

  • Tu n’as pas à t’excuser, maman, déclarai-je, d’un air compatissant et sincère. Nous nous comprenons suffisamment, pour nous accepter telles que nous sommes.

  • Alors, puisque tu refuses mes excuses, tu vas pouvoir accepter mes remerciements, soutint-elle, en me tendant une enveloppe qu’elle sortit de sa poche et sur laquelle était notifiée une acquisition d’un meuble. »

J’observai méticuleusement le document, avant de le fixer de mes regards flamboyants de désir, de connaître ce qui s’y cachait.

  • « C’est mon cadeau d’anniversaire et mon soutien dans tes études, rien de plus, précisa-t-elle, d’une douce voix, pendant que j’ouvrais la lettre et en extirpais une facture. Un coup de téléphone et les livreurs te l’installeront, dans ton duplex.

  • Une bibliothèque ! Oh merci, ma petite maman ! M’exaltai-je, les yeux noyés sous le flot de mes larmes, en la serrant contre moi.

  • Maintenant, je t’invite à plancher sérieusement sur tes cours, avant l’heure de tes travaux dirigés, orienta-t-elle, d’une intonation vivace. »

Sur ces mots, je consultai ma montre. Il ne me restait plus qu’une heure, pour gagner mon appartement et étudier, avant le début des séances prévues à 17 h 30. J’embrassai ma mère et filai avec une étonnante vélocité et prudemment sur la RN6.

Le vendredi matin de cette semaine, je pris les commandes de son hybridair cabriolet rouge et programmai un tour de l’île sur trois jours, dans l’ordinateur de bord, en y réservant une chambre modeste d’hôtel, dans l’Ouest et une chambre d’hôtes, dans l’Est, afin de parfaire notre superbe circuit de 72 heures. Des pique-niques sur chaque rivage des quatre coins de l’île, après quelques escapades dans les hauteurs, constituaient essentiellement nos déjeuners. Nous empruntâmes la route des Tamarins, pour permettre à ma mère de filmer les paysages vallonnés de l’île et les gorges arpentées des nombreuses ravines qui se jettent dans l’océan Indien. La désertification de cette nationale entretenait un côté mystérieux et étrange des lieux. La réverbération de la chaussée, sous l’effet de la chaleur pesante, le renforçait. En traversant la Savane du Cap la Houssaye, après le viaduc du Fleurimont, à la minute où ma mère immortalisait les gigantesques baobabs et les imposants « pieds d’éléphant » qui cohabitaient, avec les lataniers et les benjoins, j’aperçus un individu habillé d’une longue tunique jaune à capuche, ceinturée d’une ficelle, lequel fauchait l’herbe ocrée, par les rayons ardents du soleil, sur le bas-côté de la route. Une profonde frayeur traversa mon corps.

  • « Regarde ta route ! Cria ma mère, d’un ton affolé, t’as failli renverser la mère, avec sa poussette. »

Instinctivement, j’observai brièvement des deux côtés de la voie, la présence éventuelle d’une personne, avant de la contrôler dans mes rétroviseurs. Malgré l’insistance de ma recherche, dans tous les angles de la voiture, grâce au mode de conduite en automatique, de mon véhicule, je ne voyais aucune femme avec une poussette. Je me fiai en dernier recours à mon assistant de détections d’obstacles, lequel n’affichait aucune présence également. « Mais d’où sort-elle cette vision d’une mère avec une poussette ? Songeai-je, d’un air ébahi. Et pourquoi l’alarme de mon tableau de bord n’a-t-elle pas retenti en amont de l’incident… Aurai-je un problème de programmation directionnelle ou un mauvais fonctionnement du détecteur d’obstacles et des caméras à infrarouge. » Ne voyant toujours rien sur la route et par prudence, je contrôlai brièvement le tableau de bord qui ne signalait aucun dysfonctionnement de l’appareillage de sécurité. Entre-temps, le faucheur avait disparu. « Il y a quelque chose qui cloche… qu’est-ce qu’une femme, avec un bébé, viendrait faire par ici ? ... Ça ne peut être qu’une illusion, pensai-je, d’un air convaincu. » Jusqu’à présent, rien d’extraordinaire me diriez-vous, or, à la sortie du Belvédère de Stella, je remarquai le même homme qui, d’ailleurs, s’arrêta de faucher à notre passage, pour nous fixer droit dans les joyaux oculaires, d’un air mystérieux. « OMD ! Qui est cet homme ? Rêvassai-je… » À peine je quittai ma bulle de réflexion, qu’à nouveau, un incident, tout aussi étrange que le premier, d’un chien qui avait traversé la route s’était produit, selon ma mère et toujours à mon insu.

Brusquement, ce faucheur était réapparu. J’ignorais sur l’instant, si ma mère s’était rendu compte de la présence de cet individu, par contre, je me préservai de lui en parler, étant donné qu’elle ne s’était toujours pas remise de la mort de mon père et estimant que le moment était inopportun de la perturber, avec ces étranges apparitions. D’ailleurs, devant le risque de se faire passer pour une paraphrénique, je décidai de conserver infiniment mon mutisme, au sujet de cette affaire. Je classai ces phénomènes irréalistes sur le compte du rêve éveillé et dû à l’accumulation de la fatigue, elle-même engendrée par l’obligation d’assumer les faiblesses et carences de ma mère, la gestion du quotidien à la maison, ma propre vie et mes études, en peu de mots au stress. Malgré ces visions, notre sortie se déroula et s’acheva dans la joie et le bonheur, au bout de trois jours.

Le lendemain, tourmentée par mes apparitions mystérieuses de faucheurs accoutrés d’aubes à capuche, je refis le trajet identique en direction de Saint-Pierre, sans marquer un arrêt, afin de les éclaircir. À mon grand étonnement, je n’y croisai personne. De retour à mon appartement aux environs de dix-huit heures moins le quart, je quittai mon véhicule le visage empreint de contrariété et de déception, lesquelles traduisaient l’état de ma conscience perturbée. Le jour prononçait ses dernières lueurs, à travers un ciel limpide et clair. À la minute où je contrôlai le verrouillage des portières, avec la télécommande, les deux individus que je recherchais se pointèrent discrètement dans mon dos, camouflés sous la capuche de leur longue tunique jaune. Une pesante intuition d’être observée m’amena à me retourner brusquement. Lorsque mon regard se posa sur eux, une frayeur me colla au bitume du parking. Transie de cette peur ankylosante, une sueur froide perla sur mon front. Mon rythme cardiaque prit une allure effrénée d’un cheval au galop. Dans la seconde qui suivit, un épais brouillard m’emporta dans les méandres de l’absence de cognition. « Aaah !!! Hurla une femme, au balcon, d’un ton horrifique et sans heurter mes tympans. À l’aide ! Au secours ! Appelez les secours ! » Soudain, je m’écroulai lourdement au sol. Paniquée, celle-ci alerta le centre de secours de la ruelle Tadar et le commissariat du Chaudron, dans notre avenue. « Où... mais, où suis-je ? Me demandai-je, dans le flou de mes yeux qui tentaient vainement de s’ouvrir. Au paradis ? Dans mon rêve ? » Cette conscience mitigée dura dix minutes. À mon réveil, une équipe de pompiers m’entourait. L’un d’entre eux me réanimait par un massage cardiaque, à l’heure où la résidente, témoin de l’incident déposait les faits, auprès d’un agent de police. Les mains en position de pression sur ma poitrine, il cessa tout mouvement.

  • « Ça y est, je crois qu’elle est sortie d’affaires, observa ce sapeur, à ses collègues… Comment vous sentez-vous, Mademoiselle ?

  • Je crois que ça va, balbutiai-je, le front plissé d’étonnement.

  • Avez-vous une douleur quelque part ? Questionna-t-il.

  • Non, je n’ai mal nulle part, affirmai-je. Que s’est-il passé ?

  • Eh bien ! Vous avez été victime d’un petit trouble cardiaque et respiratoire, en attendant l’auscultation d’un médecin, restez couché, conseilla-t-il, avant de s’adresser à son commandant. Je crains qu’elle n’ait été victime d’un malaise cardiaque, lui communiqua-t-il, d’un ton grave, il faudrait la diriger très rapidement vers les urgences.

  • Cette mesure nous est épargnée, les urgences des deux établissements publics de soins sont hors service actuellement, à cause de la canicule et de la crise budgétaire nationale qui a fini par avoir raison, sur l’obligation de l’accès à la santé. Je viens d’avoir un appel du SMUR qui est en route. Dans peu de secondes, nous aurons l’avis du médecin sur place.

  • Très bien, Commandant, rompit le sapeur. »

L’arrivée d’un camion ambulatoire aménagé et appareillé pour des examens médicaux, tels que l’écho Doppler cardiaque et vasculaire, l’électrocardiogramme, ainsi que la scintigraphie myocardique, permit d’établir un bilan de santé fiable et correct. Après m’avoir transférée dans l’ambulance, avec l’aide des sapeurs-pompiers, il m’ausculta avec son équipe d’infirmières, tandis que les hommes et femmes des différents corps de métiers discutaient entre eux. Il profita également de la situation, pour me questionner sur les circonstances de ma déconnexion cognitive. Le témoin de la scène avait regagné son appartement, sous le conseil de l’agent de la paix qui l’avait interrogé. À cinq minutes de la fin des examens cliniques et techniques qui durèrent une heure, le commandant s’éloigna de son équipe, pour interroger le médecin.

  • « Bonjour, Docteur, à votre humble et valeureux service, je suis le Commandant MARCEL, des sapeurs-pompiers de Saint-Denis, Xavier MARCEL, se présenta-t-il, d’une intonation militarisée.

  • Bonjour, Commandant MARCEL, et enchanté. Je suis le docteur SAMSON de l’hôpital Henri Azéma, synchronisa le titulaire du CHU, d’une voix affable. Dominique, pour les intimes.

  • Alors, docteur, quelle est votre conclusion, urgence ou pas urgence pour ce cas ? Extorqua-t-il, avec une inflexion identique.

  • Je n’ai rien diagnostiqué de grave au niveau du cœur, commenta le médecin, d’une intonation professionnelle. Elle a dû faire une tachycardie, à la suite d’une forte émotion, suivie d’un petit arrêt cardiaque, à vérifier lors d’un prochain contrôle de routine. Elle présente quelques contusions dues à la chute, mais rien de méchant. Vu son jeune âge et sa tension artérielle tout à fait normale, son état de santé ne revêt pas un danger imminent. En conséquence, il sera inutile de combler les coulisses des hôpitaux ou de la clinique de notre capital ce soir, le peu de chambres encore fonctionnelles sont occupées ou réservées. D’autant plus que leurs couloirs sont illégalement pris d’assaut, avec cette canicule qui tue, quasiment, tous les petits vieux, avec ou sans ressources, depuis un mois et demeurent insalubres. Et ce ne sont que des patients, des quartiers viables, modestes et aisés. Les autres, je n’ose l’imaginer. Ce qui amplifiera davantage la dette de nos établissements de soins qui, sans renflouement, sera dans l’obligation d’augmenter leur tarif ou de fermer des services et de diminuer encore leur capacité d’accueil.

  • Entendu, sans contestation, c’est vous le chef, docteur, admit le commandant. C’est malheureux de le dire, mais personne ne sait ce qui se passe réellement, dans tous ces effrayants quartiers malsains, macabres et déstructurés. Le risque de contamination par un quelconque virus ou maladies incurables physiques ou psychiques y est beaucoup trop élevé, pour tout visiteur ou égaré. On a une chance inouïe qu’ils ne cherchent pas à dépasser les zones délimitées qui leur sont imposées. Du moins, à savoir si leur discipline vient de leur bon sens ou de leur inconscience et folie, il n’y a que des examens médicaux qui pourraient le déterminer. En attendant, il me semble évident qu’ils meurent tous au même titre que des rats infectés, sans que quiconque s’en indigne.

  • C’est vrai, mais croyez-vous que l’on ait réellement et légalement le choix ? Observa le docteur SAMSON.

  • Malheureusement, non, notre impuissance est aussi une évidence, tout cela est conséquent aux bouleversements climatiques et aux cataclysmes qui se sont produits, dans le passé avisa le commandant.

  • Les dérèglements de notre écosystème ne sont pas les seuls responsables, les accumulations des dettes de la quasi-totalité des pays y ont vivement contribué de siècle en siècle, même si nous avons eu des moments de répit, accusa le médecin. Ceux qui ont su rester en surface par des subterfuges plus ou moins frauduleux ou douteux sont ceux qui ont su se relever, immédiatement, de tous ces bouleversements et des pertes matérielles que le monde entier a subies. C’est-à-dire s’il faut les en vouloir, je l’ignore, car ce sont eux qui, aujourd’hui, contribuent à relancer un semblant de croissance économique. Sauf que la planète qui nous a mis au pied du mur des blessures qu’on lui a infligées demeure actuellement la priorité et aurait dû l’être, dès l’instant où l’homme est apparu sur Terre, sans y omettre la valeur humaine et son élévation et non son détournement à des fins d’intérêts de quelques-uns. Nous n’y pouvons rien pour cette misère profonde, sévère, criminelle et mortelle d’aujourd’hui. C’était à nos ancêtres du XXe et du XXIe siècle d’y penser et d’y remédier, avec humanisme, au lieu d’y avoir imposé austérité et totalitarisme, parallèlement à leur plan social et de pseudo-entraide de croissance, par une théorie de la dignité, par l’assistanat républicain et religieux, au lieu de développer la prise de conscience, l’autonomie et la responsabilité individuelles. Voilà la source de cette décadence humaine, ils ont poussé à l’irresponsabilité, à l’immaturité et à l’ignorance. Ce fut une période clef et décisive face à l’avenir. C’est semblable à un individu qui saurait, depuis des années qu’il est atteint d’un cancer de source virale et contagieuse, et qui attendrait d’avoir un pied dans la tombe, après avoir infecté un maximum d’individus, pour se faire soigner, parce qu’il est convaincu que les médecins y trouveront une solution. Inutile de vous expliquer, ce qu’il n’en serait à l’échelle mondiale ni qui n’en portera la responsabilité.

  • Vous avez raison, revenons donc à notre professionnalisme, invita le chef des pompiers. De toute façon, pour en rester aux comparaisons, exercer nos métiers, sans avoir du cœur, malgré notre impuissance, devant autant d’injustice, de division, de souffrance et d’inégalité, c’est un peu comme devenir boucher, sans savoir se servir d’un couteau. Sur ce, veuillez m’excuser, je dois vous laisser un moment.

  • Je vous en prie mon commandant, alloua le docteur. »

Le pompier se dirigea vers les agents et officiers de la Police nationale et entretint un rapport détaillé de la situation. Le médecin du SMUR s’apprêtait à me promulguer certaines recommandations préventives, d’un éventuel traumatisme crânien et d’une faiblesse récidiviste, lorsqu’un des policiers avança près de l’ambulance.

  • « Bonjour, Monsieur, Madame, salua-t-il, d’un ton direct. Je me présente, je suis le brigadier MOUTOUSSAMY. Avez-vous bientôt fini avec votre patiente ? Enquêta-t-il, auprès du médecin d’une maladresse imposante.

  • Oui, plus que cinq minutes, déclara celui-ci, d’un ton précipité et ferme. Auriez-vous un besoin ou une urgence quelconque ?

  • Oui, effectivement, docteur, sous l’ordre de mon supérieur, le lieutenant DAMBREVILE, j’aurai besoin de prendre sa déposition, avant de regagner le commissariat, avança le brigadier, d’un air embarrassé.

  • Et bien, je vous la laisse, ne la bousculez pas trop, même si elle a l’autorisation de rentrer chez elle, elle demeure dans un état fébrile, observa le docteur SAMSON, en me regardant, d’un œil attentionné.

  • Ne vous inquiétez pas, docteur, cela ne me prendra que dix minutes tout au plus, déclara le policier, d’un ton diplomate.

  • Au revoir, Mademoiselle, convint le médecin, en me remettant une enveloppe, n’hésitez pas à nous contacter, si vous avez un problème. Vous trouverez à l’intérieur de ce pli non cacheté, deux notices relatant les symptômes d’un traumatisme crânien et des signes précurseurs d’un problème cardiaque, lesquelles vous aideront, à déceler n’importe quelles anomalies physiques.

  • Merci, Docteur, je n’y manquerai pas, attestai-je, en me relevant délicatement. Et pour la facture de mes soins ?

  • Vous recevrez bientôt, un courrier de la comptabilité de notre établissement, avec la facture relative à notre intervention, dont le règlement est à votre choix, selon les propositions transcrites sur ce même document. Sous réserve que vous soyez dans l’incapacité de la régler, vous devriez transmettre sous deux jours, un accusé de réception, avec les pièces jointes qui seront indiquées, dans les conditions mentionnées, également, sur cette même facture. Bien ! À présent, avez-vous d’autres questions ?

  • Non, merci beaucoup, pour vos informations, allouai-je, aimablement. Au revoir, Docteur !

  • Prenez soin de vous, jeune Demoiselle, répondit celui-ci.

  • Je n’y manquerai pas, répondis-je.

  • Bien, Mademoiselle BOYER, c’est à nous, annonça le brigadier, en regardant le personnel du SMUR ranger leur matériel. Suivez-moi. »

Aidée d’une infirmière, je descendis de l’ambulance pour l’accompagner. Il se posta à quelques mètres du véhicule de soins et il m’interrogea minutieusement.

  • « Pouvez-vous me dire exactement ce qui s’est passé ?

  • Bien sûr, Monsieur, acceptai-je, d’un ton décisif. »

Je lui racontais, avec conviction, mon arrivée sur le parc de stationnement, sans omettre l’embuscade de ces étranges individus. Le brigadier me dévisageait, les sourcils plissés d’étonnement.

  • « Êtes-vous certaine d’avoir été agressée par des individus et en ce lieu ? Contrôla-t-il, d’une voix suspicieuse.

  • Oui, Monsieur, avec certitude, d’ailleurs, vous pouvez interroger la femme qui était sur son balcon. Elle a dû tout voir.

  • Justement, j’ai obtenu la déposition de cette femme qui prétend que vous étiez seule sur le parking, informa-t-il, d’une intonation déstabilisante.

  • Alors, pourquoi a-t-elle crié avec autant de décibels ? Et pourquoi a-t-elle contacté la police, les pompiers et le SMUR ? M’enquis-je, le front plissé de stupeur.

  • Vous savez, votre évanouissement l’a peut-être impressionnée, justifia le brigadier, c’est une femme qui m’a l’air sensible et fragile, mais principalement un peu simple d’esprit.

  • Ok, donc vous ne me croyez pas ! Conclus-je, d’une voix déconcertée et déçue.

  • Je crois particulièrement que vous avez besoin de beaucoup de repos, exhorta le policier, avec dextérité. Demain, vous y verrez un peu plus clair.

  • D’accord, souscrivis-je, d’une inflexion très pacifique et sereine, pour éviter toute complication de la situation.

  • Avez-vous un membre de votre famille, pour vous soutenir dans cette épreuve ?

  • Non, par contre, j’ai d’excellents voisins et aimables, affirmai-je, d’une intonation rassurante. Et je me sens déjà mieux. »

Beau mensonge ? Oui, un petit peu ou en partie, pour me convaincre de l’utilité vitale de mon choix. Il n’était absolument pas question que j’en informe à ma mère. Son moral en aurait été profondément perturbé.

  • « Souhaitez-vous que je vous escorte au seuil de votre appartement ? Suggéra le policier.

  • Merci, de votre attention, Monsieur le brigadier, mais je pense pouvoir m’en sortir toute seule à présent, déclarai-je, le visage empreint de certitude.

  • Bien, il en va de soi que je m’incline à votre décision, je respecte entièrement votre volonté, Mademoiselle BOYER, soyez-en totalement rassurée. Sachez néanmoins que nous restons sur place, jusqu’à l’extinction de toutes vos lumières, dans votre logement, attesta-t-il, les yeux étincelants d’amabilité. Si vous rencontrez le moindre obstacle ou difficulté, n’hésitez pas à nous en faire part, même après que nous eûmes quitté les lieux. Tenez, je vous rends vos papiers que nous nous sommes permis de prendre, pendant votre perte de connaissance, car nos Électrodétecteurs* ont une légère défaillance, en cette nuit exceptionnelle de pluie magnétique atmosphérique phénoménale.

  • Merci, Monsieur, octroyai-je, en les récupérant. Pourriez-vous remercier également les pompiers à ma place ?

  • Sans hésitation, je n’y manquerai pas. Je vous ouvre la marche, annonça celui-ci, d’une main directive. Je pourrai ainsi vous accompagner du regard. Bonne nuit, Mademoiselle ! Souhaita-t-il.

  • Bonne nuit, Monsieur ! Concordai-je, j’y vais le cœur tranquille. »

D’un naturel contrôlé, je gagnai mon duplex avec beaucoup d’appréhensions de rencontrer, à nouveau, ces étranges individus. Pendant ce temps, ce brigadier s’entretint avec son lieutenant qui discutait avec le médecin, dont le personnel finissait de caser leurs instruments. À l’écoute des propos de ma déposition, par rapport à ceux du témoin de la scène, le médecin en prit note et les qualifia de délires commotionnels. Avant de regagner les urgences du CHU d’Henri Azéma, il rédigea un long rapport médical, précisant la présence éventuelle d’un léger traumatisme psychique post-accidentel ou pré-accidentel. Au cours des quatre jours de repos qu’il m’avait accordés, je reçus une ordonnance médicale me préconisant une visite, chez un psychiatre, dans le service d’addictologie de l’enceinte hospitalière, dont il dépendait, afin de bénéficier d’une thérapie d’accompagnement, en conséquence à un terrible choc émotionnel. Cette prescription traduisait à mon insu, une consultation psychiatrique, dans le but de déceler une hypothétique déficience mentale, conséquente à une agression pour laquelle le traitement repose sur une thérapie comportementale, ou de mettre en évidence, une maladie psychiatrique innée et non décelée ou due à la prise d’une substance illicite. Sans hésitation, je donnais suite à ce courrier médical, en contactant rapidement le docteur GRONDIN, psychiatre spécialiste de la schizophrénie paranoïde. Mon rendez-vous fut fixé le lundi de la semaine suivante.

Informé de mon arrêt momentané, le doyen de la faculté me rendait visite les fins d’après-midis des 48 heures qui suivirent, pour m’apporter les vidéos des cours auxquels j’étais dispensée. Mais chaque début de soirée, pendant que mes camarades assistaient aux travaux dirigés, l’ennui m’envahissait. Poussée par un sentiment de solitude, je me connectai à un salon de rencontre intellectuelle, sur un site Internet réputé, dans lequel je fis connaissance avec un homme, d’une personnalité cultivée et mystique, néanmoins, réservée et mystérieuse. Dans l’anonymat de nos conversations, je lui confiai mes mésaventures, afin de soulager mon sentiment de culpabilité, concernant mon refus d’en parler à mes proches. Il me conseilla différentes lectures scientifiques, ésotériques et parapsychologiques, pour finaliser ma recherche de réponses. Par contre, à part quelques renseignements sur certaines sectes et associations, dans lesquelles la méthode de harcèlement des adeptes ou adhérents ressemblait bizarrement à celle de ces étranges individus, j’y trouvais peu de réponses. Une dizaine de jours plus tard, j’étais entièrement rétablie. Sur le vif de son départ, j’accompagnai ma mère à l’aéroport de Rolland Garros. Son vol était prévu pour 20 heures. Dans la seconde où l’hôtesse annonça les horaires des destinations, elle me confia un secret qui la tourmentait, depuis mon adolescence.

  • « Avant de partir, je voudrais m’excuser pour avoir nié l’existence du flash lumineux que tu as aperçu à ton adolescence. Je tiens à ce que tu saches, que j’ai agi par instinct protecteur.

  • Parles-tu de cet éclat de lumière que les enfants ont reproduit sur leur dessin ? Sondai-je, les yeux embrasés d’émerveillement.

  • Oui, ce phénomène s’est produit également le jour où je suis rentrée de la maternité avec toi, précisa-t-elle, d’une voix assourdie, par la peur d’être entendue. À l’époque, notre ex-voisin d’en face s’était aventuré à le divulguer, tout autour de lui, il avait même pris l’initiative de contacter la presse écrite locale. Avant que les journalistes ne le rencontrassent, sa femme le découvrit dans un piteux état. Son corps avait disparu de ses vêtements qui restèrent après lui sur son lit. Les rumeurs allaient de bon train, entre l’enlèvement par les extraterrestres et la fuite face à ses responsabilités conjugales. Moi, je t’ai préservé des ennuis, pour éviter que de telles conséquences ne se reproduisent, dès fois qu’il y eût une part de vérité, dans ces faits irrationnels. J’avais tellement peur de te perdre que ma rationalité fut sévèrement ébranlée.

  • Tous les passagers du vol A382 des Émirats Air Lines, en direction de Paris-Orly sont priés de se présenter rapidement, à l’embarcation, merci, pour votre compréhension. All the passengers of Emirats Airlines A382 flight in direction Paris-Orly are requested to present themselves at the boat, thank you for your understanding, lança, soudainement, l’hôtesse d'accueil. »

À cet instant où celle-ci évoquait un dernier appel, aux passagers en retard, de se présenter pour leur embarquement immédiat, j’étais partagé entre la stupéfaction et la satisfaction des révélations de ma mère, mais je conservai le sens des réalités du présent, afin de lui accorder mon attention.

  • « Maman, tu dois t’en aller ! Tu vas rater ton vol ! Paniquai-je, les mirettes embuées de larmes de tristesse, de notre séparation, mais également de joie de sa confession.

  • Me pardonnes-tu ? S’inquiéta-t-elle, le visage marqué de chagrin.

  • Évidemment ! Acceptai-je, en la poussant vers le couloir des départs. Nous aurons l’occasion de nous expliquer au téléphone ou par courrier.

  • D’accord, ma puce ! Cria-t-elle, je m’en vais à vive allure. Surtout, ne te lance pas à la recherche de ce mystère, tu iras au-devant de très gros ennuis. Consacre-toi à tes études et informe-moi des résultats de tes partiels.

  • Ne t’inquiète pas, maman, rassurai-je, à haute voix. Tu seras la première à en être informée. »

Une intense illumination d’admiration traversa ses prunelles, lorsqu’elle se retourna une dernière fois, pour me lancer un baiser papillon. Debout derrière la barrière du terminal des départs, je lui renvoyai le mien, par un étirement de complicité des rives de ma bouche. Puis, elle disparut dans la foule qui avançait précipitamment, sous mon regard évasif et allumé d’une pointe d’espoir de la voir revenir. Comblée, elle prit son vol, vers un autre horizon affectif. Le changement d’informations sur le panneau de départ m’indiqua son envol. Je soupirai d’un son teinté de nostalgie. Le hall de l’aéroport était toujours affluant de voyageurs, parés pour d’autres destinations. Lorsque je me retournai pour quitter ce lieu, des individus au visage dissimulé sous la capuche de leur chiton, jaune pour certains et orange pour les autres, se confondaient au milieu de la foule, dans les quatre coins de la salle. Immobile comme des statues, leur attention était braquée dans ma direction. « OMD ! Est-ce possible de faire des cauchemars en étant éveillée ? » Je sentis une profonde frayeur traverser chaque centimètre carré de mon être. Le rythme effréné de mon cœur me procura des bouffées de chaleur alternées par des sueurs froides. « Qu’est-ce que je vais faire ou pouvoir faire ? ... Qu’est-ce que je dois faire ? Réfléchis-je, les yeux palpitants de panique. » Le moindre pas que je faisais et la moindre direction que je prenais étaient suivis de leur troublante fixation, sur ma personne. Au-delà de mes espérances, deux agents de la police aéroportuaire se pointèrent au seuil de la sortie de droite. D’un pas précipité, je fonçai vers eux, pour me mettre en sécurité.

  • « Excusez-moi, Messieurs, interpellai-je, tout en scrutant la salle, d’un bout à l’autre, le regard apeuré. »

Ces mystérieux individus avaient disparu, alors que j’étais sur le point de les dénoncer à la police. Confuse, je fixai les agents qui avaient mobilisé leur attention et leur écoute, afin de répondre à ma demande ou à intervenir, en cas de problème. Mon attitude éveilla leur suspicion.

  • « Vos papiers, Mademoiselle ! Réclama l’un d’entre eux, d’une voix autoritaire et les sourcils froncés de méfiance.

  • Ne bougez plus, Mademoiselle ! Dans l’exercice de mes fonctions, je vais prospecter votre puce,* avec mon Électrodétecteur,* ordonna, simultanément, l’autre membre des forces de l’ordre, d’un ton calme et posé. »

Je sortis mon portefeuille de la poche de ma veste et en extirpai ma carte d’identité que je tendis à celui qui me l’avait réclamée, avant la vérification de ma puce.* Minutieusement, celui-ci contrôla l’authenticité des données de ma carte, durant que son coéquipier vérifiait ceux de ma puce.* Rassuré, il me la rendit et me demanda d’un ton plus aimable :

  • « En règle ! Il n’y a pas plus conforme que vos papiers. Que pouvons-nous pour vous, Mademoiselle BOYER ?

  • Je… je…, hésitai-je, d’un air désorienté. Voilà, je… excusez-moi, je… souhaiterais savoir, si un particulier avait le droit de stationner devant l’aéroport, improvisai-je, d’une inflexion légère.

  • C’est tout !!! Dans ces conditions, d’où vient cette peur qui se lit dans le blanc de vos projecteurs ? Contrôla le même agent, en me fixant d’un regard interrogateur.

  • Ce n’est pas de la peur, Monsieur l’Agent, c’est la réaction que j’ai l’habitude d’avoir, en présence de policiers, expliquai-je, d’un ton naturel, je suis intimidée devant vos uniformes.

  • Bien, par conséquent, excusez-nous de vous avoir impressionnée. Toutefois, sachez, Mademoiselle, que le stationnement, pour un particulier, est strictement interdit, devant l’ensemble des aéroports nationaux, rappela-t-il, d’un air et d’une voix attentionnés. N’est autorisé que l’arrêt ponctuel, pour descendre vos bagages, en dehors des périodes rouges du plan Vigipirate. Mais vous avez raison de vous en informer, car les règlements évoluent souvent ou les anciens reviennent.

  • Merci, de vos honorables attentions, Messieurs, gratifiai-je, le visage empreint d’un naturel maîtrisé.

  • Nous sommes à votre service, déclarèrent-ils, en chœur et d’un sourire empathique. »

Puis, ils s’éloignèrent lentement dans l’enceinte aéroportuaire. Et moi, sans chercher à observer, si j’étais suivie ou pas, je gagnai ma voiture d’un pas précipité, dans le parc de stationnement éclairé de Rolland Garros. Crispée d’angoisse et de stress au volant de mon véhicule, je roulais prudemment en direction de Sainte-Clotilde, sur le boulevard sud. Ma peur grandissait au fil des heures. Quand j’arrivai sur la place de mon immeuble, ma montre affichait une heure moins le quart du matin. Le froid était de retour et le quartier désertifié. Ma gorge asséchée et mes intestins noués me tiraillaient douloureusement. « Dois-je descendre du véhicule ou devrais-je attendre le lever du jour ? Ambitionnai-je, en scrutant aux alentours. » Les incidents de ces derniers jours hantaient mes pensées, dès que je me retrouvais sur le parking de l’immeuble. Celui de cette soirée amplifia mon appréhension. Pour parfaire cette atmosphère angoissante et lugubre, les lumières des réverbères du stationnement réservé vacillèrent intensément, à l’instant où je coupai le moteur. « Et si ces individus m’attendaient devant mon seuil d’entrée ! ... Ou dans l’ascenseur... ou encore dans les escaliers ou tout simplement près des boîtes aux lettres… Qu’est-ce qui se passe ? Qu’est-ce qui m’arrive ? ... Mais qui sont ces hommes ? » Tourmenté par des questions sans réponses, tous les cinq à dix minutes, le sommeil finit par m’emporter, dans l’opacité de sa nébuleuse, avant d’atteindre l’inconscience paradoxale.

À quatre heures du matin, des jeunes rentraient d’une soirée festive. Leur joie expansive me réveilla brutalement. D’où j’étais, je ne pouvais pas les voir, cependant, je décidai de profiter de leur présence, pour me rendre dans mon duplex. Je quittai mon véhicule et les rattrapai rapidement, malgré les dix centimètres de neige, sur le bitume.

  • « S’il vous plaît, avez-vous l’heure ? Sollicitai-je, d’un ton aimable, dans le but de me rapprocher d’eux.

  • Oui, Madame, répondit une jeune fille, il est exactement quatre heures et trois minutes.

  • Vous habitez l’immeuble ? Sondai-je, afin de me détendre.

  • Oui, Madame, j’habite au même niveau que vous. Vous ne me reconnaissez pas ! S’étonna la jeune fille, le front plissé de surprise.

  • Oh, c’est vrai, je ne vous avais pas reconnue, admis-je, d’un air confus.

  • Excusez-moi ! Cela ne vous dérange pas que je m’y rende avec vous.

  • Absolument pas, Madame ! »

Sur le palier de nos entrées respectives, avant de la remercier, je tirai profit de notre tête-à-tête, pour en apprendre davantage.

  • « Dites-moi, n’aurez-vous pas aperçu des individus, d’une allure plus ou moins étrange, sur votre route ?

  • Non, Madame, nous n’avons croisé personne d’autre que vous, sur notre parcours, affirma-t-elle, d’une inflexion neutre. Je suis désolée, mais je dois rentrer.

  • Bien sûr, n’en soyez pas désolée, je vous en prie. Ce serait plutôt à moi de l’être. Je ne vous retiens pas plus longtemps, observai-je, d’un ton embarrassé. Bonne nuit ! Et merci, pour votre attention.

  • Au plaisir et bonne nuit, Madame ! Souhaita-t-elle, d’une intonation identique, en ouvrant sa porte. »

Après une inspection méticuleuse de chaque pièce, j’achevai ma nuit dans mon lit, soulagée de constater l’absence de tous rôdeurs. Ces apparitions mystérieuses, des individus de mes monstrueux cauchemars que j’appelais, pour alors, cauchemars personnifiés m’épuisaient inévitablement, au fil du temps. Cependant, que pouvais-je y faire ?





Chap. IX

Étrange Découverte.



Après le départ de ma mère, chaque jour de ma vie, je me motivais et j’avançais à tâtons, comme on effleure du bout de nos pieds, la traversée d’un terrain miné, afin d’éviter toute nouvelle rencontre insolite. Avec mes énigmes non élucidées de situations incohérentes et démesurées, j’essayais assidûment d’oublier tous les moments désagréables et déstabilisants de mon existence, en continuant à vivre et à résister, en trois mots, à me battre, fièrement. Le bilan psychiatrique de l’éminent docteur GRONDIN ne démontra aucune anomalie mentale. Évidemment, je m’étais abstenue de lui parler de mes visions et de mon vécu, d’un ordre irrationnel du côté des cartésiens, par contre, d’une nature extraordinaire, dans le camp des scientifiques et passionnés de la science quantique et de la métaphysique, et dans celui des mystiques et des occultistes. Son diagnostic aurait été de l’ordre d’une schizophrénie paranoïde très prononcée, voire dangereuse pour l’ordre public et pour moi. Je risquais, sans aucun doute, un internement psychiatrique à long terme. Sachant que de grands spécialistes du monde entier avaient rédigé des œuvres et des essais, sur ces différents thèmes, je souhaitais vivement lever le voile sur ces mystères, indépendamment de toutes influences directes d’un tiers qui, d’autant plus, ne partagerait peut-être pas l’avis de ses confrères. Malheureusement, mes priorités d’étudiante et mon budget mirent fin à mon désir. Au sommet de mes dix-sept ans, je m’épanouissais librement, chaque jour, au seuil du monde des adultes. Mes transformations pubertaires se stabilisèrent. Je mesurais 1 mètre 72 pour 52 kg, avec des mensurations de mannequins. Je conservais ma coupe de cheveux d’adolescente, laquelle mettait en évidence les tons dégradés de mes mèches. Cette panoplie de couleurs allait du châtain foncé, au châtain clair et était assortie à l’iris de mes pupilles noisette clair, ainsi qu’à mes taches de rousseur. Tous ces attraits constituaient, irrémédiablement, des atouts de mon succès relationnel et affectif.

Pour mettre un peu plus de beurre dans mes épinards, en novembre de ma première année de faculté de droit, je travaillais occasionnellement le samedi soir « Chez Antoine », un fast-food bio du centre-ville, pour le service du midi. Ce restaurant était l’un des plus côtés de la ville, pour ses repas et son ambiance à la fois intime et familiale. Les tenues féminines se composaient d’un petit tailleur vert canard à col orangé, d’une toque de la même teinte et semblable à celle d’une hôtesse de l’air, sur laquelle était tissée, en fil de soie verte, l’enseigne du propriétaire, d’une paire d’escarpins dotés de talons de 6 centimètres et de deux tabliers distincts, pour passer de la salle à la cuisine, dans nos roulements de service. Ceux des hommes se différenciaient surtout par leur pantalon et leurs chaussures. Mon salaire était convenable, principalement les soirs de fête où les pourboires s’avéraient généreux. Mais parfois, pour que mes dépenses extra universitaires correspondissent à mon budget, j’œuvrais dans le service à la personne, occasionnellement, auprès des enfants de tout âge, grâce à quelques matériels de puériculture, avec lesquels mes parents m’accueillirent à ma naissance. J’avais un nombre restreint de collègues, avec qui je sortais certains soirs, dans des endroits chics et à la mode. Pendant un an, je vivais pleinement ma jeunesse et j’étais très épanouie, à tel point que j’oubliais les hostilités que j’avais dû affronter ces dernières années. Je réussis, avec une mention satisfaisante, ma première année de faculté et j’amorçai la deuxième, avec autant de succès, après un splendide séjour à Madagascar, en fin d’année universitaire.

Au mois d’avril 2234, en quittant le restaurant, un samedi, en fin d’après-midi, je me dirigeai à pied vers le centre-ville, au niveau de la rue du Maréchal Leclerc, pour rejoindre mes collègues, dans un café littéraire qui, le soir, se transformait en soirée karaoké. L’hiver s’était à peine achevé qu’il faisait déjà une chaleur torride. Je marchai sans précipitation, lorsque, au croisement de la rue de Juliette Dodue, j’entendis des ........ de ......., parmi les vacarmes infernaux de la ville. Ce ..... m’interpellait et me touchait au plus profond de mon être. Il me semblait qu’il était tout proche, mais en scrutant dans mon environnement et vers tous mes horizons, je n’aperçus aucun ...... d’un ..... susceptible de ............ incessamment, avec ce son de ............. Une famille de touristes se rapprochait. Intriguée, je les questionnais à ce sujet :

  • « Excusez-moi de vous déranger…

  • Was haben Sie gesagt° ? Demanda le père de famille. Ich verstehe nicht das Französische°. (Qu’est-ce que vous avez dit ? Je ne comprends pas le français.)

  • Ok, Ihr seid deutsch. Entschuldigen es, sich zu stören, sehr geehrter Herr, aber hören Sie dieses ........, das s.......° ? (Ok, vous êtes allemands. Excusez-moi de vous déranger, Monsieur, mais est-ce que vous entendez ce ........ qui .......... ?)

  • Ein Säug........ ? Nicht, höre ich nichts°, répondit le père. Ingrid gibt es kein .........., das ..........° ? (Un cri de ...................? Non, je n’entends rien. Ingrid, il n’y a pas de ...... qui ........ ?)

  • Nein, soutint sa femme. Und die Kinder Ihnen, hören Sie einige Sachen°? (Non. Et vous les enfants, entendez-vous quelques choses ?)

  • Nicht Mama, hören wir nichts und sehen nichts°. (Non, maman, nous n’entendons rien et ne voyons rien.)

  • Tief betrübt, meine kleine Lady, können wir nicht Ihnen helfen°, conclut le père. (Désolés, ma petite dame, nous ne pouvons pas vous aider.)

  • Keine Sorge, das ist nicht ernst und guter Aufenthalt auf der Insel, auf Wiedersehen°, gratifiai-je, les yeux allumés de bienveillance. (Rassurez-vous, ce n’est pas grave et bon séjour dans l’île, au plaisir de vous revoir.)

  • Danke, unendlich, Fräulein, auf Wiedersehen und wir werden glücklich sein, Ihnen ein nächstes Mal zu informieren°, salua la petite famille, le sourire aux lèvres. (Merci, infiniment, Mademoiselle, au revoir, et nous serons heureux de vous renseigner une prochaine fois.) »

« Pas de bol ! Pensai-je, en les regardant s’éloigner, avec le sourire. Qui seront les prochains. » Soudain, j’aperçus un passant qui revenait de la poste, située dans l’angle de la rue :

  • « Excusez-moi de vous déranger ainsi, Monsieur, mais est-ce que vous percevez l’appel d’un ..... qui hurle ?

  • Eh bien, je distingue particulièrement le ronflement des voitures, pas vous, jolie Demoiselle ? Et qu’est-ce qu’il fait chaud ! Vous ne trouvez pas ! Dévia-t-il, d’un air enjoué. »

Par moments, le son oscillait à différents niveaux, par conséquent, toute perception aurait pu être neutralisée ou amoindrie, si l’on n’avait pas apprêté une écoute particulièrement attentive. Ce qui, à mon avis, était totalement le cas de cet individu. Avec plus de conviction, j’insistai pour qu’il accommode davantage son audition, à ces ........ de ...........

  • « Vous en êtes sûr ! Écoutez bien, là ! Maintenant ! Il hurle ! Il hurle ! M’exaltai-je, en réceptionnant distinctement le cri du ........ Ne impossible de ne pas l’entendre ! »

Cet homme recula de deux pas et fronça les sourcils. Sans m’en rendre compte, je l’avais offusqué.

  • « Mais non, Mademoiselle, je vous l’ai dit, il n’y a que vos hurlements qui me heurtent les tympans, je ne vais pas mentir pour vous faire plaisir ! S’emporta-t-il, d’un ton agressif. Et puis, il n’y a aucun ..... à des kilomètres aux alentours, vous le voyez bien non ! Vous avez un problème pour m’agresser de la sorte, vous devriez consulter un médecin, vous avez sûrement été victime d’une insolation, à vous exposer sous une canicule aussi foudroyante et c’est malsain de respirer l’air pollué de la ville ! Rentrez chez vous ! C’est ce que vous pourriez faire de mieux, pour la sécurité d’autrui et la vôtre. »

Il s’éloigna en remuant la tête d’indignation, comme s’il venait de croiser une déséquilibrée. Cette réflexion que je fis un jour à Shirley me revenait directement à l’oreille, une fois de plus. « Décidément, la mise en garde de maman est toujours d’actualité, reconnus-je, le visage rembruni de consternation. » La preuve qu’il ne fallait jamais critiquer les autres injustement, avec des propos que l’on n’aurait nullement souhaité entendre, se dressa incontestablement devant mon égo. Subitement, je remarquai les regards tragiques et critiques des badauds qui s’étaient certainement arrêtés, à la vue de notre altercation et à l’écoute de notre conversation tonitruante. Je me sentis un peu confuse et mal à l’aise. « J’ai rêvé ou halluciné ? Songeai-je. Oh non, je ne suis pas en train de tomber, dans une sorte d’hallucination phonique. Il s’agit sûrement d’un canular ! Je finirai par connaître son auteur ! » Je repris mon chemin et brusquement, les ........ parvinrent une nouvelle fois à mon ouïe. Par contre, à présent, ils s’éloignaient au fur et à mesure que j’avançais. « Ce n’est pas possible ! À moins d’admettre que je souffre d’hallucination phonique et que je dois contacter, encore une fois, ce prodigieux psychiatre du CHU du Moufia, je n’irais nulle part, tant que je n’aurais pas trouvé des explications, à ces .......... insistants, pensai-je, avec conviction. » Je fis demi-tour et j’attendis là où le son du ........ semblait plus élevé. Au moment où les voitures et les passants de la rue se dispersèrent, je questionnai à nouveau une dame qui sortait du magasin, devant lequel je me tenais. Sa réponse se révélait négative. À la minute où ma patience s’était amenuisée et mon irritabilité avait atteint son sommet, la fatigue se fit ressentir et l’espoir de résoudre ce mystère s’éteignit, comme un feu consumé de bois de tamarin, dans l’âtre d’une demeure ancestrale montagnarde créole, in kaze gramoune°. (Une habitation en feuille de tôle d’une personne âgée.) Je finis par conclure que j’étais la seule à entendre ce ........et qu’il faudrait me résoudre à reconsidérer mon état psychique, si je n’aboutissais à aucune preuve d’une plaisanterie d’un tiers. Je m’apprêtais à abandonner définitivement ma recherche, lorsque juste à la fermeture des boutiques, mon attention porta sur une boîte carrée d’environ huit centimètres d’arêtes. Elle se trouvait par terre, contre le mur du commerce, devant lequel j’étais postée, depuis des heures. Je me penchai pour la ramasser et me relevai, d’un air intrigué. Prise d’excitation et de peur, je soulevai l’opercule, avec délicatesse et prudence.

  • « OMD ! M’exclamai-je, les yeux ouverts à la fois d’émerveillement et de frayeur, qu’est-ce que c’est que cette chose ? »

Une étrange luminescence verte irradiante s’était simultanément extirpée de cette boîte. Paniquée par sa contenance, je la refermai délicatement, le visage marqué d’effroi. M’assurant que personne ne m’avait entendu et vu, je me tapis dans un coin de mur, pour admirer prudemment ce que je venais de dégoter. Quand j’ouvris de nouveau le carton, la lumière avait diminué en intensité. J’y aperçus une petite sphère qui affichait une ouverture, d’où provenait l’intense clarté verdoyante. Poussée par ma curiosité, je la sortis. Instantanément, la lumière disparut sous mes pupilles dilatées de stupéfaction...


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